Ce texte a été écrit dans le cadre du colloque « Une complémentarité à définir : le rapport du créateur à son récepteur », qui a eu lieu le 8 mai 2012, lors du 80ème Congrès de l’ACFAS, à Montréal.

 

 

Remarque : dans les propos qui suivent, je me situe du point de vue de l’écrivain et du professeur de création littéraire et non du point de vue du professeur de théorie littéraire appliquée parfois dénommée: recherche création (ce qui jette beaucoup d’ambigüité sur le sens du mot création).

 

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire s’imposeront «fatalement», nous affirme Boileau dans son Art poétique. Plus personne ne se réclame officiellement de cet auteur tombé en désuétude depuis la fin des cours classiques. Car Boileau, c’était la voix du classicisme, le régent des lettres, le patron des critiques littéraires et des professeurs de  littérature de cette époque. Chacun connaissait sa place dans l’organigramme, et le schéma de la communication était, avant même la naissance de Jacobson, appliqué à la lettre. À ce moment, au moins officiellement, la littérature se jouait à l’intérieur de ces normes incontestées parce que, nous affirmait-on, incontestables. Descartes était passé par là et personne n’aurait eu l’indécence d’interroger sa Méthode. Clarté, discipline, rigueur, surtout raison. C’est à l’intérieur de ces normes que la littérature était enseignée et personne ne contestait les lois de la rhétorique qui étaient, chacun se faisait un devoir de le croire, respectées par les écrivains et qui permettaient même de départager les bons écrivains des autres, les médiocres.

 

Aucun professeur non plus n’aurait alors osé affirmer que l’imagination ou l’imaginaire pouvaient avoir priorité dans la fabrication des vers (car c’est surtout de vers dont il était question chez les classiques). L’imagination devait être tenue en laisse par la raison, laquelle s’efforçait de mettre au point les normes devant être suivies à la lettre pour engendrer le texte sinon parfait, à tout le moins juste, compréhensible, efficace d’une efficacité de transmission des messages que l’auteur avait conçus clairement, et qui avaient été moulés dans des vers frappés sur l’enclume de la raison et du bon sens, appelé alors le sens commun.

 

Un poème était considéré comme juste lorsque ses vers étaient ciselés selon les lois de la versification et les images (souvent réduites aux comparaisons) n’intervenaient que dans la mesure où elles avaient pour effet de rendre plus «accessible» la vérité transmise par le texte. C’est pourquoi les textes du grand siècle faisaient l’objet d’études exhaustives dans lesquelles LA vérité du texte était formulée avec assurance et infaillibilité. Quiconque n’adhérait pas à cette vision était non seulement jugé avec sévérité, mais carrément recalé. Il existait un « livre du maître » pour chacune des grandes œuvres jugées dignes de figurer au palmarès des chefs d’œuvre, et l’étudiant devait l’apprendre par cœur afin d’en recracher le contenu sur sa feuille au moment de l’examen. Les conditions nécessaires pour que le message de l’œuvre soit conçu avec clarté, exprimé avec efficacité et reçu adéquatement par le lecteur étaient donc réunies.

 

Mais depuis l’âge d’or du classicisme, les choses ont beaucoup changé, à tout le moins en littérature. La venue du romantisme et du surréalisme a orienté le travail des écrivains, particulièrement des poètes, dans une direction très différente, pour ne pas dire diamétralement opposée. La raison n’est plus considérée comme le repère absolu de l’écrivain. Il n’est plus question de concevoir, encore moins de raisonner, mais de sentir et d’exprimer. La raison a continué à imposer son règne dans la plupart des domaines de la connaissance, et même de la vie courante, mais la littérature, à tout le moins la littérature comme art et comme lieu de co-naissance, a pris ses distances d’avec ce discours et cette approche de la réalité. Je veux que l’on se taise lorsqu’on cesse de sentir, clame Breton. Et le phénomène de l’écriture automatique n’est rien d’autre qu’une tentative d’atteindre la pensée, trop souvent gommée par la raison, en donnant comme mission aux mots de permettre à cette pensée de s’exprimer directement sans effectuer un détour obligé par la station de service raison.

 

Il existe un lieu plus originaire et plus fondamental que le concept, lieu dénommé par Breton le point suprême d’où émerge directement la pensée et dont le langage, devenu parole, est considéré comme son lieu privilégié de manifestation. C’est lui qu’il faut atteindre et peu importe le chemin à suivre pour y parvenir. En poésie, la voie royale de cette expression est l’image insolite et provocante dont le visage et l’identité ne nous sont connus qu’après son apparition sur la page et dans l’esprit, l’image souvent jugée absurde par la raison et ses alliés : les critiques et les professeurs toujours en mal de normes à appliquer et de lois à faire respecter. Une telle image doit désormais être au centre des préoccupations de quiconque veut accéder au monde propre de la littérature.

 

Toute cette alchimie (le terme remonte à Rimbaud, mais commence vraiment à s’imposer au moment du surréalisme) a en vue une transformation radicale de la conscience. Il faut devenir voyant, pousser plus loin les limites de l’exploration, ébranler le vieil édifice de la connaissance rationnelle qui a fini par scléroser nos facultés intellectuelles et cristalliser l’existence autour de certains principes moraux, facteurs bien plus d’immobilisme que de mutations de la conscience et d’enracinement dans le réel.

 

Une telle transformation ne s’effectue point sans que certaines normes de conduite, de même que certains critères de jugement, soient transgressés avec tout ce que cela engendre de désordre et même de chaos autant intellectuel que social. On ne peut écrire, lire ou vivre de la même façon avant la révolution intérieure prônée et vécue par les surréalistes et leurs sympathisants, qu’après. Nous savons désormais que le langage n’est pas d’abord un moyen dont on se sert pour transmettre des idées ou des messages clairs. Il devient une fin en lui-même et par lui-même. Parler porte en lui son orientation, son origine et sa finalité. L’écrivain est celui qui accepte de se laisser envahir par les mots et le langage, et qui les laisse, eux, le conduire jusqu’à la pensée et à l’être. Un texte littéraire qui se situe à l’intérieur de cette démarche n’a rien d’autre à transmettre que lui-même parce que le langage devient alors présence et manifestation. L’important n’est plus de cogiter, au sens de réfléchir, mais de sentir, de laisser les mots devenir lieux d’expression et d’accomplissement de ce sentir, carrefour du corps, de l’âme, de l’esprit, du monde et de l’être. Ce qui a pour effet de mettre en cause la nécessité, et même l’utilité du schéma de la communication pour celui qui s’adonne à l’écriture littéraire.

 

Un tel schéma n’est utile et même applicable que dans certaines circonstances spécifiques que rencontre régulièrement celui qui travaille dans le domaine de la communication objective, celle à laquelle prépare les programmes de communication dispensés dans les universités et les collèges. Adopter intégralement ce schéma et l’appliquer autant à la création qu’à la transmission d’une œuvre d’art, principalement un texte littéraire, crée plus de problèmes que cela n’en règle. Parce que la littérature, lorsqu’elle devient créatrice, ne poursuit aucun objectif pouvant servir de moteur pour assurer le bon fonctionnement du fameux schéma. S’y référer pour tenter de modaliser autant l’écriture que la lecture d’un texte littéraire ne peut conduire qu’en dehors du champ propre de la littérature comme art.

 

Précisons pourquoi. La poésie dite moderne, celle qui commence avec Baudelaire, mais se poursuit avec Rimbaud, Apollinaire, les surréalistes, etc. s’est définitivement brouillée avec la raison. Non pas qu’elle en ignore l’existence (qui pourrait affirmer l’inutilité de la raison sans perdre toute crédibilité) mais parce qu’elle en conteste l’hégémonie et surtout le règne de la logique qu’elle instaure, lequel a pour conséquence de nier, à tout le moins de refouler, tous les désirs et exigences de l’homme qui ne sauraient s’épanouir sous le règne de la raison et de l’utilitarisme qui en découle. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de parole, c’est-à-dire d’esprit dont la parole est la manifestation privilégiée, peut-on lire dans la Bible qui est d’abord un texte littéraire, et doit être lu comme tel. Et non comme un message camouflé qui contient un dogme, des règles de conduite que le « croyant » doit adopter sous peine d’être fouetté par l’Inquisition.

 

Il n’y a pas de message, ni autre grigri du même ordre dans un texte littéraire. Ce qui ne veut pas dire que ce texte ne parle de rien, qu’il se contente de battre l’air avec des syllabes qui font se rencontrer des voyelles et des consonnes pour le seul plaisir de cette rencontre. Il y a certes de cela dans le poème tout particulièrement, cette rencontre ludique des voyelles et des consonnes (comme le font spontanément les enfants qui commencent à parler, et même après qu’ils l’aient appris; ou les grandes personnes lorsqu’elles se lancent dans des exercices de poésie exploréenne semblables à ceux auxquels s’adonne Gauvreau dans ses Jappements à la lune), mais tous ces jeux, pour sortir de l’insignifiance, doivent être la conséquence d’un désir d’expression de l’être plus que d’un besoin de se défouler.

 

Le texte de poésie dite moderne en est donc un qui jouit d’une existence gratuite, de présence, et de lieu épiphanique grâce auquel autant celui qui écrit que celui qui, éventuellement, lit ce texte ne peut que le laisser lui ouvrir les yeux sur ce qui est, au lieu de s’en tenir à ce qui paraît. En d’autres termes, un langage qui libère celui qui écrit ou qui lit, autant qu’il libère les mots en leur permettant d’apparaître dans la lumière de leur origine. Le texte alors, on s’en doute bien, n’est pas un simple moyen servant à transporter d’un point A à un point B une certaine réalité (messages, lois, vœux, théories, idéologies, etc.) préalablement déterminée par le cogito.

 

Lorsque Pascal déclare que l’homme est un roseau, le plus faible de la nature, mais un roseau pensant, il est loin d’affirmer qu’il s’agit d’un roseau qui cogite et légifère. Pensant, c’est-à-dire qui accueille et permet à ce qu’il accueille de manifester sa présence et d’accomplir son périple, de la conscience à la chose, dans un mouvement qui rend la co-naissance possible. Ce qui postule que l’expérience du poète en est une de participation qui se vit et s’accomplit par et dans l’écriture d’un texte qui devient le lieu de cet accomplissement, parce que c’est là, dans les mots et le langage, que la conscience et la chose se rencontrent et, pour ainsi dire, se reconnaissent dans un baiser créateur qui n’a rien d’autre en vue que cela : manifester la présence en la rendant visible et effective. Ce qui exige également que la relation aux mots et au langage vécue par l’écrivain, principalement le poète, ne soit pas de l’ordre de la cogitation mais de celui d’une contemplation active (en cela il se rapproche du mystique) et de la création d’un lieu de rencontre et de participation par l’écriture d’un texte qui se fait dans l’écrivain et qui s’accomplit sur la page où autant le mot, la chose que la conscience sont révélés les uns aux autres.

 

L’écrivain ne dirige pas le texte, il l’aide à naître en naissant en lui et avec lui. Quelque chose de lui, de l’humain, de l’esprit humain, et de l’esprit, naît par ce texte qui apparaît avec la même gratuité, le même mystère que celui rendu manifeste par l’enfant émergeant du sein de sa mère. Ce texte, au moment où son écriture est terminée, commence sa vie propre de texte qui s’accomplira grâce aux lecteurs qui accepteront de le recevoir et de le nourrir de leur propre existence, en même temps qu’ils se laisseront conduire par le mouvement inscrit dans la sonorité des mots du texte qu’ils accepteront de recréer en les rendant efficaces.

 

Comme on peut le voir, le langage, ici, n’existe pas en tant que moyen de transmission, mais plutôt comme médium, surtout comme lieu de transsubstantiation ou, à tout le moins, de transformation alchimique. Nous nous situons dans une phase antérieure à l’apparition de la maladie moyen de communication. La conscience naît à elle-même et à l’autre en rencontrant les choses qui l’entourent et avec lesquelles elle accomplit une sorte de ballet dont la personne, en processus de naissance, n’a pas encore pris conscience. Le silence flotte sur les eaux habitées par le souffle de l’esprit qui constitue, pour la conscience, autant un appel qu’une réponse. Appel à naître auquel répond l’écrivain qui se laisse séduire par ce mouvement qu’il tente de fixer dans des mots qui, tout en retenant ce mouvement pour s’en imprégner, le laisse vivre dans un texte dont la création est une réponse à cet appel, de même que son accomplissement temporel et, hélas, temporaire; rien n’est donné une fois pour toutes. Chaque conscience (et chaque génération) recommence le monde.

 

Il faut être conscient de toute cette dynamique de la création, des mots, du langage et de la parole pour saisir, avec un maximum de chance, la nature du texte littéraire et comprendre, du même coup, que ce texte ne peut, d’aucune façon, être soumis à la logique propre au schéma de la communication. Certes, dans toute création il existe un point de départ et un point d’arrivée, mais il n’existe pas de moyen de transmission permettant de relier ces deux moments. Ou plutôt si. Il ne s’agit cependant pas d’un moyen mais davantage, comme je viens de le dire, d’un lieu qu’on habite ou pas, lequel est plutôt de l’ordre de la fin que du moyen. Et c’est grâce à cette habitation que la conscience du lecteur est amenée à revivre l’expérience que l’auteur a accepté de vivre pour être visité par la lumière qui surgit des profondeurs de l’être et vient éclairer les mot sur la page, permettant ainsi que le langage soit transformé en parole.

 

De même que texte ne peut naître dans l’inconscience totale et l’ignorance absolue, l’appropriation du texte par un lecteur ne va pas de soi. Il est pour le moins téméraire de postuler, à priori, que le lecteur, parce qu’il sait lire et écrire depuis son école primaire, a la compétence nécessaire pour entendre et recevoir un texte littéraire dans la totalité de sa manifestation, ainsi que cela se passe trop souvent dans l’enseignement actuel de la littérature. Les étudiants ne sont plus initiés à la lecture (je ne dis pas à l’interprétation) du texte littéraire, comme si n’importe qui pouvait recevoir le texte littéraire sans avoir à effectuer quelque changement que ce soit dans ses modalités de perception de la réalité en général, et du langage lui-même en particulier.

 

Ou comme si le fait de posséder, ce qu’on appelle, le vocabulaire de base et la syntaxe élémentaire d’une langue rendait quiconque le souhaite apte à entendre et comprendre tout texte qui lui est donné à lire. Ce qui, bien entendu, est faux. Très souvent le lecteur déchiffre les mots du texte, mais ne lit ni les mots, ni le texte. Car il y a lire et lire. C’est autre chose de déchiffrer une recette de cuisine ou le mode d’utilisation d’un instrument quelconque, ou les grandes lignes d’une théorie, et de laisser les mots entrer dans la conscience pour la transformer en lui permettant d’habiter le lieu que le texte littéraire crée lorsqu’on se donne la peine d’en sonoriser adéquatement les mots et d’emprunter le véritable mouvement de la phrase. L’appropriation d’un texte par un lecteur ne va pas de soi. Chaque type de texte exige son lecteur adéquat, et un tel lecteur ne surgit pas du néant. Pour paraphraser à l’envers, je dirais : on ne naît pas lecteur, on le devient.

 

Le lecteur des textes poétique et littéraire doit être soumis aux mêmes exigences de connaissance et d’appropriation des mots et du langage que l’écrivain lui-même, et être initié à l’expérience à l’intérieur de laquelle l’écriture d’un texte littéraire devient possible. Ce qui veut dire que, en littérature, le schéma de la communication ne règle rien. Il ne fait que mettre le doigt sur les étapes d’un processus général de transmission sans se prononcer sur chacune des modalités particulières de cette transmission ni, encore moins, sur ce qui est ou voudrait être transmis.

 

Ceci m’amène à me situer plus directement par rapport au titre de la présentation qui a précédé la publication de ce texte : qui parle dans le poème et pour qui? Avant de focaliser sur le schéma de la communication, focalisation qui, à toute fin pratique signifie : quoi écrire et comment le dire pour atteindre le lecteur, comme si le but de la littérature était d’abord d’intéresser un éventuel lecteur, quelles que soient les accommodations auxquelles l’écrivain doive consentir pour y parvenir, il faut préciser la nature de l’écriture littéraire. Je sais bien que le but de toute écriture est d’atteindre un éventuel lecteur, ne serait-ce que l’écrivain lui-même devenu, une fois le texte terminé, lecteur de son texte. Un tel but est on ne peut plus légitime, surtout pour quelqu’un qui rêve de vivre de sa plume, comme on dit. Mais cela ne nous instruit pas sur la nature du texte littéraire et encore moins sur le langage lui-même comme lieu de manifestation de l’être et d’expression de l’homme en tant qu’esprit incarné qui, à cause de cette incarnation, ne réussit à co-naître que par la rencontre de la chose et de la conscience, tout d’abord dans le mot puis, ultimement, dans le texte. L’un et l’autre sont ordonnés, primordialement, à cette épiphanie et non à la réalisation de quelque objectif proposé par la raison (qui est l’un des aspects de l’intelligence, mais non l’intelligence totale, malgré les prétentions de la science).

 

La littérature est une rencontre avec le réel par la médiation du langage. Ce qui suppose que la conscience effectue un mouvement de rencontre avec les choses et les êtres et non un mouvement de recul, comme cela se passe en science, car il n’y a pas de science sinon de l’objet. Pour que le langage et la littérature puissent intéresser la science, ils doivent se transformer en objets d’étude. Ce qui n’a rien à voir avec l’art littéraire.  Pour que le schéma de la communication devienne une obsession et se situe au centre des interrogations d’un auteur, il faut que ce dernier cesse de penser en artiste et poursuive des objectifs qui ne sont plus ou pas ceux de l’art, mais ceux de la morale, de la politique, de la religion, de l’esthétique, etc. On objecte parfois, comme Sartre l’a fait dans Qu’est-ce que la littérature, qu’il existe une différence majeure entre poésie et prose, que la poésie se situe du côté de Dieu pour qui les mots et la parole sont des lieux de création, et la prose, du côté des hommes pour qui les mots et le langage sont des moyens d’engagement et des outils de communication.

 

Il s’agit d’une belle distinction qui n’éclaire cependant pas beaucoup la problématique qui nous intéresse ici parce qu’elle ne fait que reporter la question fondamentale : qui parle dans le texte littéraire : l’homme comme animal raisonnable ou l’homme comme esprit incarné? Certes ces deux réalités ne s’opposent pas mais elles sont loin de coïncider. Qui est l’homme total, l’existant qui s’exprime dans le texte littéraire? Au moment d’écrire, l’écrivain l’ignore, même s’il en a une sorte de connaissance intuitive qui tient plutôt de l’accueil de ce qui bouge au fond de son être que d’une connaissance exhaustive dont le texte rendra compte pour l’instruction de ceux qui le liront. Ce qui supposerait que l’écrivain connaisse déjà, avant de l’avoir écrit, le message qu’il veut transmettre, message qui lui vient, j’imagine, d’une expérimentation dont il précisera les conclusions dans son texte. Les mots alors ne sont point des choses mais des signes et nous ne sommes plus en art, mais en science.

 

Pour que la prose devienne littéraire (car il existe une prose non littéraire et c’est même celle qui prédomine dans toute société), il faut que les mots deviennent des choses et que l’homme devienne un mystère à découvrir et un être à manifester par et dans un texte qui lui permet de dévoiler tel ou tel visage de son existence. Autrement il est impossible de parler d’inspiration. Tous les textes littéraires ne pourraient être qu’au service d’une idéologie, d’une esthétique, d’une religion, etc. et se résumeraient à une technique de l’expression écrite qu’un auteur manie avec plus ou moins d’habileté et d’efficacité ou d’une esthétique particulière choisie en fonction de critères déterminés par un ensemble de circonstances, très souvent pour faire nouveau, se mettre à la remorque d’un mouvement social, religieux, etc. Toutes choses légitimes et contre lesquelles il n’y a rien à dire sinon de constater que tout cela est orienté de façon telle que la manifestation de l’homme et de l’être devient alors secondaire parce que les questions, souvent qualifiées de « tatillonnes », que je pose depuis le début de ma réflexion, ont enfin été refoulées dans les marges d’une culture désormais au service de la science et de la raison.