Jean-Noël Pontbriand
L’écriture comme expérience. Entretiens avec Michel Pleau
Québec, Le Loup de Gouttière, 1999
C’est dans le contexte d’un échange complice entre un directeur de thèse et son ancien étudiant qu’on entre dans L’écriture comme expérience. Dans son prologue, l’étudiant, le poète désormais célèbre Michel Pleau, nous parle de l’habitude qu’il avait prise lors de ses études d’enregistrer les cours de son professeur et ami, le poète Jean-Noël Pontbriand, et de les réécouter par la suite. Cela lui a donné l’idée de ce livre d’entretiens sur la création littéraire, dont le but est de transmettre la pensée du professeur à un plus large public.

[heading style= »subheader »]Une vision intuitive et existentielle de la pratique de l’écriture[/heading]

Ces entretiens, qui ont été publiés en 1999 aux éditions du Loup de Gouttière, abordent des questions qui sont toujours d’actualité. On y parle notamment de la place de la poésie et de la création littéraire dans la société, et on y développe une réflexion sur la démarche de l’écriture littéraire. Celle-ci est présentée comme un cheminement existentiel permettant non seulement à chacun de mieux se connaître, mais aussi de mieux saisir son rapport au monde. Les deux auteurs, à travers leur dialogue, discutent de la pratique de l’écriture poétique et de leur vision, essentiellement philosophique, qui s’appuie en grande partie sur une approche phénoménologique et heideggérienne. Il ne faut donc pas chercher dans ce livre des recettes pragmatiques d’écriture ou une réflexion sur l’esthétique. On y aborde plutôt plusieurs aspects de la création littéraire chers à Jean-Noël Pontbriand, soit la quête de l’origine, la démarche propre à l’écriture poétique, l’enseignement de la création, la rencontre de l’Autre, le rapport entre la vie et l’écriture, et le mode de connaissance particulier à la poésie. Ces thèmes font chacun l’objet d’un chapitre au cours duquel une dimension différente de l’écriture littéraire est approfondie.

Il serait extrêmement difficile de résumer en quelques mots le propos général de ce livre, puisque sa structure dialoguée implique une progression non linéaire des idées qui y sont développées. Les notions sont présentées de manière parfois répétitive, en fonction des questions posées et des rappels qui sont nécessaires. Cela crée un effet d’immersion, fidèle en quelque sorte à l’esprit de la poésie. C’est d’ailleurs ce que la position du poète interviewé met en relief : l’écriture littéraire s’organise autour d’un mode de connaissance qui tient plus de l’intuition, perception sensible et concrète du monde, que de la raison. L’auteur déplore par ailleurs la prééminence du mode rationnel dans notre société et surtout dans notre système d’éducation. Selon lui, cette rencontre des êtres et des choses propre à l’artiste se fait plutôt sur un mode analogique. Cela se manifeste chez le poète par un effort constant d’attention envers le langage qui le traverse et l’emporte dans son mouvement, porté à la fois par l’émotion et le rythme des mots, vers l’Autre qui demeure à découvrir à travers l’accomplissement de l’œuvre.

[heading style= »subheader »]Quelques lacunes[/heading]

Les deux auteurs ont fait du chemin depuis ce livre. Jean-Noël Pontbriand a d’ailleurs publié par la suite plusieurs essais sur le rôle de l’enseignement dans la création littéraire, reprenant de manière relativement différente, souvent beaucoup plus claire et efficace, les questions abordées dans ces entretiens. De plus, le genre de l’essai dialogué aurait dû être à même de saisir la dynamique d’une parole en mouvement, spontanée. Or, bien que c’était probablement l’intention des deux auteurs, le naturel attendu d’une telle approche n’est pas toujours de la partie. En effet, on s’attendrait à ce que les aléas de la conversation entre les deux poètes nous amènent sur d’autres versants. On aimerait que ceux-ci nous surprennent en s’étonnant eux-mêmes d’une dérive fertile illustrant leur propos. Hélas, le discours semble à certains moments se refermer sur lui-même, passant et repassant par les mêmes ornières et reprenant les mêmes vocables, souvent un peu trop abstraits et imprécis pour permettre à tous les lecteurs d’accéder à la justesse et à la profondeur de la posture d’écrivain proposée. Par ailleurs, à certaines occasions, la connivence entre les deux auteurs nous laisse à l’écart, car les questions de Michel Pleau font quelquefois référence à des notions ou à des œuvres qui, bien qu’elles soient familières à ceux qui ont suivi les cours du poète, sont étrangères au néophyte. Il aurait été nécessaire de les mettre en contexte, ne serait-ce que pour mieux inclure le lecteur dans l’échange. À titre d’exemple, dans le chapitre intitulé « Itinéraire », certaines œuvres de Jean-Noël Pontbriand sont évoquées afin d’illustrer la démarche de l’auteur, mais aucun extrait n’est cité, ce qui aurait pourtant pu nous aider à mieux nous situer.

Toutefois, malgré ces petits défauts dans l’organisation du livre, il n’en demeure pas moins que des points d’une importance majeure sont abordés, et que l’aspirant écrivain, surtout le poète, a tout à gagner à les découvrir. À la manière des Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke, ce livre, dans ses moments les plus forts, arrive à nous faire prendre conscience des écueils de l’écriture liés aux préjugés et aux stéréotypes habituellement véhiculés sur la littérature et la poésie. L’approche de Jean-Noël Pontbriand amène la personne qui désire écrire à ne jamais se reposer sur des certitudes et des poncifs appris tout au long de son parcours, et à ne se fier qu’au langage et à l’intuition qu’il suppose.


 

[heading style= »subheader »]Bibliographie[/heading]

PONTBRIAND, Jean-Noël, L’écriture comme expérience. Entretiens avec Michel Pleau, Québec, Le Loup de Gouttière, 1999.

RILKE, Rainer Maria, Lettres à un jeune poète, NRF Poésie / Gallimard, 2010.