[information]Ce texte a été écrit dans le cadre du cours Écriture pour enfants et adolescents, donné à l’Université Laval par Gabriel Marcoux-Chabot à l’automne 2014.[/information]

 

Sandy était une poulette bien dodue. Ce jour-là, elle était heureuse puisqu’elle avait pondu. Elle attendait ce moment depuis longtemps. Enfin, elle allait être maman!

« Un bébé! » s’exclamèrent les autres poules, réjouies. « Un bébé pour Sandy! »

Nuit et jour, Sandy protégeait son œuf. Elle le frottait, le tournait, lui fabriquait des habits neufs. On disait de Sandy qu’elle serait une vraie mère poule… Ou qu’elle était devenue maboule! Mais Sandy ne s’en préoccupait pas : « Je vais avoir un bébé, moi! »

 

Mais plus les jours passaient, plus l’œuf grossissait.

« Votre poussin serait déjà devenu coq? » ricanaient les mégères.

« Riez, riez, je m’en moque », rétorquait Sandy, d’humeur légère.

Car Sandy ne s’inquiétait guère, tout ce qu’elle voulait, c’était devenir mère.

 

Un beau jour, ce qui devait arriver arriva. Quelques craquements, et le voilà! Toutes les poules étaient réunies pour fêter l’arrivée du petit.

« Par tous les loups! »

« C’est qu’il n’est pas jaune du tout! »

« Déplumé et laid comme tout, ce poussin est prêt pour le ragoût! »

« Ce n’est pas un coq, c’est un dinosaure! »

« Gare à vous, Sandy, s’il a des dents, c’est qu’il mord ! »

Les poules, paniquées, hurlaient dans le poulailler. Sandy, quant à elle, caressait la tête de son fils du bout des ailes.

« Petit Gédéon, tu es mon bébé, mon garçon, disait-elle. Peu m’importe ce que les autres diront, ici, c’est ta maison! »

 

Gédéon grandit rapidement. Il avait une crête énorme sur le dos et une petite corne sur le bout du museau. Les poules, effrayées par sa grandeur et ses énormes dents, parlaient de lui méchamment.

« Il nous mangera, c’est certain! »

« Et Sandy qui l’appelle son poussin! C’est un monstre, rien de moins! »

« Il a ravagé ma paille avec ses énormes pieds! »

« Ce dinosaure, il doit s’en aller! »

« Il me réveille la nuit avec ses grognements! Je préférerais dormir avec un éléphant! »

Ces plaintes attristaient Sandy, qui voyait bien que son fils n’aurait jamais d’amis. Les écureuils en avaient peur, les souris hurlaient de terreur. Même les crapauds ne voulaient partager l’étang avec un animal aussi gros.

« Il ne peut dormir ici. Il restera dehors ou s’en est fini de lui. »

 

Gédéon fut bien obligé d’obéir, s’il ne voulait pas être forcé à partir. Mais Sandy aimait trop son fils pour le laisser ainsi. Elle s’installa bien au chaud, en boule sur son dos.

Cette nuit-là, un loup vint à passer. Il vit Sandy, et la crut perchée sur un rocher. L’odeur de la poule endormie éveilla son appétit.

Il s’approcha et grimpa sur la queue de Gédéon, qui se réveilla. Aussitôt, le loup déguerpit, sans prendre une seule bouchée de Sandy.

« Qu’est-ce que c’était, maman? » demanda le dinosaure calmement, n’ayant pas reconnu le méchant.

« Un loup solitaire », répondit sa mère. « Ne t’approche pas de lui, c’est notre pire ennemi. Ses dents sont des couteaux tranchants. Ce loup ne fera qu’une bouchée de nous! »

Gédéon avait toujours obéi à Sandy. Mais ce qu’elle disait du loup, les poules le disaient à propos de lui. « S’il est gentil, je ferai de lui mon ami! »

 

Le lendemain, Gédéon proposa à Sandy de dormir bien à l’abri. Elle entra dans le poulailler, et Gédéon garda l’entrée. Le loup apparut avec les premières étoiles. Gédéon le reconnut à ses yeux bleus et à son poil.

« Je croyais avoir rêvé », dit le loup. « Mais mes yeux ne m’ont pas trompé. C’est un dinosaure et non un chien qui garde le poulailler! »

« Les poules sont ma mère et mes tantes. Je ne te laisserai pas les manger », rétorqua Gédéon.

« Mais je suis affamé! »

Affamé, il l’était bel et bien. Le loup était maigre, il mourrait sans doute s’il ne mangeait rien. Gédéon aurait bien voulu lui donner l’une de ses tantes, qui savaient se montrer si méchantes. Mais le dinosaure n’était pas vilain, et il avait peur de la réaction de sa mère le lendemain.

« Je te donnerai à manger, si tu jures de ne plus menacer ma famille ».

« De quoi vais-je dîner? Je ne me nourris pas de chenilles! »

« Tu auras des grains, du blé, et des petits pois. C’est ce qui m’a rendu fort, tu vois ? Je peux savoir ton nom? Le mien, c’est Gédéon ».

 

Le loup s’appelait Robin, et il revint dès le lendemain. Au cours de la nuit, une amitié solide les avait unis. Ce qui n’empêcha pas les poules de pousser des cris affolés en voyant le loup approcher.

« Il va nous manger! »

« Au loup! Au loup! Il ne fera qu’une bouchée de nous! »

Tout à coup, Gédéon bondit vers le loup.

« Hourra! Hourra! » crièrent les poules.

« Fais-le partir, qu’il ne nous mange pas! »

Mais Gédéon n’en avait pas du tout envie et leur présenta son ami.

« Un dinosaure et un loup? »

« Quel mauvais sort, nos deux ennemis parmi nous! »

« Sandy, les choses empirent, votre fils doit partir! »

Sandy se tourna vers son fils. Il avait l’air si triste… « Il faut que ça cesse », pensa-t-elle, et aussitôt, elle se mit à crier en battant des ailes. Les poules la regardèrent se trémousser de colère.

« Ça suffit! » s’écria Sandy, qui n’avait jamais haussé le ton de sa vie. « Gédéon est mon poussin! Plumes ou pas, il est mien! Il aurait pu vous manger l’une après l’autre, mais il n’en a rien fait! C’est qu’il est bien élevé, mon poulet! Alors fermez votre bec, et laissez-le en paix! La prochaine qui parle contre mon poussin… Je la donne à Robin! »

 

Les poules étant ce qu’elles étaient, elles ne changèrent jamais. Mais en secret, elles aimaient savoir Gédéon tout près. Il les protégeait du danger, et elles avaient appris à l’aimer. Aucune ne finit dans le ventre de Robin. Le loup, grâce à l’aide de son copain, était devenu végétarien. Plus personne n’avait peur de Gédéon. Les crapauds l’invitaient à la maison. Même les souris et les écureuils, qui le trouvaient si gros, grimpaient maintenant sur son dos.

 

Et Sandy? Elle attend un nouveau petit, et son œuf grossit, grossit…