Après les quelque trois heures de projection, tu demeuras assis au bout de ton siège, interdit. La communauté de l’anneaufut l’un des rares films qui te laissèrent sans voix. Comme si tu venais de vivre une rupture amoureuse, tu te demandas : pourquoi ? Perdu dans tes pensées, tu regardais les crédits défiler. Un manque s’installa, impossible à combler. Pourtant, tu essayas, laissas la musique t’imprégner, l’ambiance du film te submerger, mais rien n’y fit. Scrutant chacun des noms à l’écran, tu en désirais plus.

 

Plus tard, Les deux tours et Le retour du roi apparurent à l’écran. Tout comme les œuvres originales, ces films eurent un succès foudroyant. Et tu n’en sautas pas un. La trilogie du Seigneur des anneaux t’offrit le premier personnage que tu étudias sous toutes ses coutures : Frodon Sacquet – Hobbit de la Comté. Contre sa volonté, il se retrouva mêlé à cette aventure. Mais, déterminé à faire le bien, il mena l’Anneau à Fondcombe, puis devant l’indécision du Conseil d’Elrond, se porta volontaire pour l’apporter jusqu’au cœur de la Montagne du Destin.

Dès le second film, le poids de l’Anneau encombra Frodon. Il n’était plus question des merveilleuses aventures de son oncle, d’épopées grandioses, mais bien de la réalité, d’un monde déchiré par la guerre, et par un mal qui le rongeait de l’intérieur. Inévitablement, le jeune Hobbit se résigna. Jamais il ne remettrait les pieds chez lui.

Tu demeuras bouche bée. Il n’était pas le premier héros à baisser les bras. Pourtant, tu refusas de croire qu’il puisse ainsi abandonner. Mais qu’aurais-tu fait à sa place ? La même chose, évidemment.

Frodon n’était pas un poltron, au contraire, mais sans Sam – son compagnon – jamais il ne serait parvenu à détruire l’Anneau. Car bien que les événements aient fait de lui un être exceptionnel, Frodon n’avait rien d’un héros. Il n’était qu’un simple Hobbit, entraîné contre son gré dans une aventure qui le dépassait. Il fut ton ami, puis un modèle.

Tes parents s’étaient résignés. Leur fils aimait la « magie » et les « histoires inventées. » Non. Ce réalisme merveilleux, ces elfes, orcs et dragons t’étaient, et te sont toujours, aussi réels que n’importe quels souvenirs. Au fond, comment distinguer  le vrai du faux ? La réalité n’est-elle pas le propre de notre subjectivité ?

L’œuvre de Peter Jackson s’inspirait de livres, paru dans les années 50. Tu mis la main sur de vieux exemplaires et compris à quel point la notion de réalisme était affaire d’opinion. Frodon te le prouva. Les blessures qui le grugeaient, d’abord la lame de Morgul puis le poids de l’Anneau, n’avaient rien d’illusoire. Son départ de la Terre du Milieu non plus.

La trilogie du Seigneur des anneaux t’indiqua la voie à suivre. T’intima à exiger toujours plus. Tu n’oublias jamais ce sentiment. Celui-là même qui, encore aujourd’hui, te porte à garder ton attention rivée sur l’action. Qu’il s’agisse d’une description ou d’un dialogue, d’un travelling ou d’un plan séquence, chaque phrase, chaque scène, doit trouver son importance dans le récit. Faire progresser l’intrigue, évoluer les personnages, mais surtout, surtout, obliger le lecteur, le spectateur, à en vouloir toujours plus. À rester le nez dans le livre, au bout de son siège, les yeux béants d’émerveillement.