L’âme d’un voyage, c’est la liberté, la liberté idéale : penser, ressentir

et faire ce qui vous plaît. Nous partons surtout en voyage pour nous

affranchir de toutes nos entraves et de tous nos soucis; pour prendre congé

de nous-mêmes bien plus que pour nous débarrasser des autres.

— William Hazlitt1

 

Rien qu’un soir, être William Hazlitt

parti en voyage à la fin du dix-huitième siècle,

délicieusement solitaire sur la route menant à quelque ville fortifiée

hérissée de tourelles avec une Auberge de la Tête de Cochon

et la lumière d’une lampe projetant une flaque d’ambre sur

l’obscurité.

Espérer des mets ruisselants, de pleins gobelets de thé et un long

repos avec une lettre acheminée depuis Londres.

Réciter au gré de ma balade quelques vers favoris à mon bon ami Coleridge,

quelque chose au sujet des éminences vertes et du bêlement des troupeaux. Être en pleine possession de mon esprit dans une solitude si pure que seuls une bouteille de sherry et

un poulet froid sauraient me ramener au monde physique.

Est-ce trop de vouloir ceci, un soir seulement, à la fin

du vingtième siècle ? Quelques heures tranquilles sur une route étroite

illuminée par les étoiles ? Un palefrenier murmurant de tendres éloges à ma fatigue

tandis qu’il la mène à l’écurie ? Un setter irlandais d’un rouge flamboyant pelotonné

à mes pieds, grognant durant son sommeil contre mon unique ennemi, l’inquiétude ?

Quelque part, le fantôme de Hazlitt s’approche d’un vieux village

à la nuit tombante, savourant en rêve un lapin couvert d’oignons.

Il refuse de croire que ses lèvres sont froides et que l’aubergiste

repousse ses pièces inutiles. Je me délecte

de son entêtement face à la mort. Ô juste un soir,

être le corps chaud sirotant le plaisir dans son sillage.

 


 

1 « Partir en voyage », dans William Hazlitt, 2014, La Solitude est sainte, Paris, Quai Voltaire/La Table Ronde, traduit, annoté et préfacé par Lucien d’Azay, p. 36. William Hazlitt (1778-1830).

 


 

À propos du traducteur.

Jean-Marcel Morlat est né à Paris et réside dans la région d’Ottawa depuis 2010 après avoir vécu et enseigné dans de nombreux pays (France, Angleterre, USA, Japon, Turquie, Tanzanie et Émirats Arabes Unis). Il a traduit le livre de Philippe Wamba : Parenté lOdyssée dune famille en Afrique et en Amérique (2016). Il a aussi traduit des nouvelles d’auteurs anglophones (USA, Angleterre, Australie et Canada) parues dans X Y Z : la revue de la nouvelleTraversées, L’AmpouleRevue Phoenix : cahiers littéraires internationaux et Revue Rue Saint Ambroise.