[tabs title1= » » text1= »Ce texte a été lu dans le cadre du Déjectoire, spectacle d’ouverture du Mois de la Poésie, le 1er mars 2014, lors du Printemps des poètes de la ville de Québec. » ]

Photo_PascaleBérubé

 

Une fille, des failles, se bouger dans une ville déjà trop grande, en s’accrochant aux choses de l’amour comme à un dernier verre avant de partir.

 

Ça me représente bien : « voyons, criss ». Toujours un truc. Un cassement. Un essoufflement.

 

Je crois que je suis atteinte de la grande ostie de sainte faille des filles de ma génération.

J’ai déjà l’envie de brailler un peu.

J’ouvre un tiroir – j’fais que ça, ouvrir des tiroirs -, je le referme. Je sais pas.

On m’a pas appris comment dealer avec la réalité de ma peau.

 

Un p’tit sort avec ses parents du café où je suis et me regarde avec un début de sourire. Je sais pas s’il sait…

Ses parents vont jamais savoir que leur fils est ici.

Dans mon histoire.

Sous la glace de mes mots.

 

J’aimerais vraiment dire un truc important, mais je sens que je vais passer à côté.

Je suis bien cette fille, la fille qui passe à côté.

Je sais pas quand, exactement, c’est possible de sentir le trou qui s’installe en moi.

On pourrait y jeter les corps d’une centaine d’hommes. Au moins.

On pourrait m’oublier, si je lève pas la main.

 

Je suis pas raisonnable.

Je vais sûrement prendre un verre, tantôt.

Pis croiser les jambes, en aguicheuse, ben gauche.

 

J’aime les mots droits qui s’installent dans le blanc des possibilités, sans poésie, ou presque.

Un vent droit et froid, qui gratte les joues.

Un chandail de Velvet Underground.

Un divan.

Les lignes de tes yeux.

Ce sont des choses que j’ai souillées.

La saison d’octobre.

Le devant de ma nouvelle jupe.

Les lettres qui écrivent ton nom.

Des choses que j’ai souillées, oui.

 

Je suis pas en train d’écrire le grand roman canadien.

Les passants sont beaux comme des amants en pleurs.

Pourtant, ils m’ennuient.

Tout m’ennuie.

Je veux dormir, pis voir les couleurs défiler. Je suis épuisée, chéri.

Chéri-E.

Amours.

 

Je suis rêveuse pis je chie.

Je suis décevante. Je sais.

J’ai déjà probablement vomi sur les pierres de ma couronne.

Checke-moi ben. Une dernière fois.

Je vais enlever les couches, les peaux, les traces.

Checke ben.

Ça va pas te faire bander. C’est épuisant te faire bander.

 

Anyway.

 

Je veux des fleurs dans mon journal intime. Pis des chatons. Des fucking chatons avec des collants encore humides dessus.

 

J’écris pas.

 

J’écris jamais.

 

Je pose une main maladroite sur des épaules.

 

Je baisse ma culotte.

 

Je fais des tours de magie.

 

Y’a encore des traces de morsures sur ma peau, mais ça cicatrise.

 

C’est pas l’hiver.

 

Je suis pas une échangiste.

 

Y’a pas de photos de moi dans le bain, en train de me cacher, couverte de plaques de rasage.

 

Je suis nouvelle, ici.

 

On m’a parlé d’un printemps précoce.

 

On m’a parlé du sang des oiseaux battant dans un ciel bleu comme le sourire de ta mère sans gin sweat ni ecchymoses.

 

On m’a parlé de la venue d’un homme et de son corps planté dans ton fleuve.

 

Le sais-tu que je suis blessée.

 

Jeune petite vieille.

 

Cuisses ouvertes – Oh maman !

 

Niveau d’alcoolémie comme une face crissée dans le creux d’un sofa.

 

Je suis faite. La flèche me pogne là où ça pue, là où ça dit de ces choses…

 

Malgré tout, je suis probablement la plus jeune dans le bar présentement.

 

La transition café-bar a été silencieuse.

 

Vous y portez peu attention.

 

Patsy Cline dit qu’elle est folle avec ce spleen doux et terrible dans la voix. Les vieux autour de moi continuent d’être vivants. J’ai toujours ce tremblement dans le corps. Comme le cri grichu d’une tv qu’on a laissée ouverte à un poste abandonné.

 

C’est un après-midi où je vais finir chaude et retourner chez moi en bus dans le flou flou pis m’endormir sans sonnerie pour m’appeler, pour me remettre à l’ordre.

 

Un monsieur passe à côté de moi, les jambes moulées dans un petit jean serré. Y’a des jambes de fille. Ou de pédale. Je le sais, j’avais des jambes de pédale, pis maintenant j’ai des jambes de fille.

 

Mes jambes ne traînent plus dans la cours d’école.

 

Pas de sable, pas de cailloux, pas de crachats.

 

Mes jambes de fille bandent autour des hanches étroites d’un homme.

 

Elles y accrochent un poème.

 

Je sais pas si je suis une comique ou une martyre.

 

Ou une fille dompée.

 

Ou encore, une élégie qui monte jusqu’à la tête comme la meilleure des dopes.

 

Heille, man.

 

J’écris. C’est plus facile d’écrire saoule que de parler.

 

C’est plus facile de baiser saoule que de se masturber.

 

Je me rends compte, c’est plus facile de regarder dans le vide et d’avoir l’air fin avec un crayon dans les mains.

 

« C’est peine perdue pour l’intelligentsia du Québec », dit le monsieur à côté de moi, à son ami.

 

En effet, c’est peine perdue.

 

Voyons criss!

 

J’ai-tu l’air de savoir de quoi je parle?