NOTES SUR LA SÉRIE « LA DYNAMIQUE INSTAURATIVE DANS LA RECHERCHE CRÉATION »
« Dans cette optique, la recherche portant sur la création sera soit une recherche sur les mécanismes, les contextes ou les produits de ces actes existentiels, ou elle sera elle-même une recherche à fonction instaurative. Ou bien on met ce processus vivant et transformateur dans une éprouvette et on s’en distancie le plus possible de façon à ne surtout pas l’altérer par notre observation, ce qui correspond à l’“in vitro” scientifique, ou bien on va audacieusement, dangereusement, dans le sens de son mouvement, nous laissant transformer, faisant de la dimension “recherche” une suite conséquente du geste créateur – ce qu’on pourrait dire “in vivo”. D’un côté on aura des spécialistes en blouse blanche mesurant, comparant et prenant des notes sur l’artiste en création, de l’autre côté on a l’artiste elle-même, ou lui-même, qui s’observe et se parle à soi-même – qui travaille de façon réflexive… c’est la recherche en première personne, par l’artiste sujet et agent de la recherche, qui vit tout le processus et s’en trouve à chaque minute ému et ébranlé. Dans l’in vitro, la recherche est un acte en laboratoire, alors que dans l’in vivo, il y a continuité et solidarité entre l’œuvrement, la vie et nos pensées sur la vie.
Le travail artistique étant une consécration de l’être à sa surexistence, à la surexistence, la recherche-création (in vivo) est, logiquement, le prolongement de ce mouvement d’augmentation. »
Extrait du texte 3. La recherche création : in vivo ou in vitro
Les cinq textes qui forment cet « essai-feuilleton » portent sur un aspect de la recherche-création qui est relativement peu théorisé. J’ai nommé cela la « dynamique instaurative », c’est-à-dire le pouvoir qu’a ce type de recherche de nous transformer nous-même tout en transformant notre art.
Les efforts de certains chercheurs en art pour crédibiliser les recherches-créations auprès du monde scientifique en général les amènent à concevoir leurs projets selon des critères plus familiers aux autres disciplines. Les véritables « recherches-créations » des débuts, celles liées aux maîtrises et doctorats des créateurs, sont peu à peu marginalisées, au profit de recherches plus classiques, des recherches sur l’art qui se réclament désormais de la recherche-création, encouragés en cela par les programmes institutionnels. On voit même des chercheurs en sciences pures s’adjoindre des collaborateurs artistes ou emprunter des méthodes pseudo artistiques (production d’images, projets d’animation dans les milieux, etc.) pour présenter des demandes de subventions en recherche-création.
Dans cette série, j’ai exploré ce qui me semble être la véritable nouveauté et originalité de la recherche-création par l’artiste. Cette recherche partage son épistémologie et ses méthodologies avec les recherches dites « en première personne », l’autoethnographie, les histoires de vie, tout ce qu’on appelle parfois « le tournant réflexif » en sciences humaines. Sa grande caractéristique est son aspect recherche-action, où ce qui se fait au nom de la recherche se répercute dans l’être et l’œuvre de l’artiste – et qui sait, du récepteur aussi.
BIO
Je suis professeure titulaire à l’Université du Québec à Rimouski. J’y suis arrivée en 2008 après une carrière d’enseignement au Goddard College, un collège universitaire alternatif avec 80 ans d’expérimentation et de pédagogie radicale, où j’ai notamment dirigé le MFA in Interdisciplinary Arts. À Rimouski, je travaille au sein d’une équipe de spécialistes en étude des pratiques – il ne s’agit pas seulement de pratiques artistiques, mais de toutes les pratiques, de la notion même de pratique. Nous faisons essentiellement de l’étude de pratique dite « réflexive », où le praticien étudie ses propres agirs pour en comprendre les significations, les enjeux et les potentiels. Nous sommes spécialistes des méthodologies et des paradigmes épistémiques liés à ce type de travaux.
Je suis d’abord compositeure et artiste interdisciplinaire. Passionnée de philosophie de l’art, d’histoire et d’épistémologie, je suis aussi membre du CIRET (Centre international de recherches et d’études transdisciplinaires).
REMERCIEMENTS
J’ai une très longue histoire avec les idées que j’ai développées ici. Elles ne sont peut-être pas aussi claires et bien argumentées que nécessaire, car je les ai rédigées ici sans plan préalable, au fil des mois, un texte après l’autre. De toute façon, il se dit tant de choses dans le monde de l’art… penser qu’en retravaillant nos formulations toujours plus, toujours mieux, on pourrait convaincre quelqu’un qui n’est pas d’humeur à l’être est une folie. Mon seul but est de ne jamais arrêter de réfléchir…
J’assume entièrement ces idées, mais je ne les ai pas développées toute seule. Je dois remercier toutes mes étudiantes et mes étudiants, avec qui j’ai conversé sur de longues années, tant en anglais qu’en français. Mes collègues, aussi, collègues universitaires, collègues artistes, qui n’étaient pas toujours d’accord avec moi, mais dont les réflexions ont toujours été éclairantes.
Je remercie plus particulièrement Diane Laurier et Pierre Gosselin, pour leur travail sensible et intelligent, mes collègues de l’UQÀR en étude des pratiques psychosociales, dont les recherches alimentent les miennes, et mes lectrices fidèles Suzanne Boisvert, Claudine Desrosiers et Claire Maillé. Je remercie Suzanne pour la photo, aussi. Annie Abdalla a conversé longuement avec moi sur ces sujets – je me rappelle avec amitié le petit carnet dans lequel elle prenait moult notes durant nos échanges. Je remercie aussi les gens du Crachoir de Flaubert, à commencer par Pierre-Luc Landry, qui a initié l’invitation, puis Treveur Petruzziello, Mathieu Simard et Caroline Loranger.