[information]Ce texte a été écrit dans le cadre du cours Écriture pour enfants et adolescents, donné à l’Université Laval par Gabriel Marcoux-Chabot à l’automne 2014.[/information]

La reine Adélaïde regardait par la fenêtre de sa tour. Le soleil illuminait le parc où des feuilles de toutes les couleurs s’entassaient sur le sol et virevoltaient au vent. Malgré ce spectacle automnal, elle était bien triste. Ses mains caressaient son ventre qui refusait d’accueillir un bébé à naître. Cela faisait déjà plusieurs années qu’elle et le roi attendaient un héritier, en vain. La déception de la reine grandissait chaque jour. Le roi Gilbert arriva dans la pièce, une boîte entre les mains; il s’agissait d’un cadeau pour sa femme. La reine, intriguée, ouvrit le paquet et découvrit à l’intérieur une petite chienne samoyède. Elle avait un pelage blanc comme la neige et une petite truffe noire comme l’ébène.

— Nous l’appellerons Blanche, déclara la reine.

À partir de ce jour, Blanche ne quitta plus le roi ni la reine. Elle les suivait pas à pas dans le château, dans le grand parc qui l’entourait et parfois même jusqu’à la bordure de la forêt, à la limite des terres du royaume. Ils formaient tous les trois une famille heureuse.

Après un automne doux et coloré, la température chuta et la neige envahit le territoire. Blanche, qui adorait les temps froids, s’amusait dehors tous les jours. L’hiver était long et les villageois grelotaient dans leurs chaumières. Au château, la reine tomba très malade et, après quelques mois, mourut. Le roi était inconsolable. Il resta enfermé avec Blanche pendant des mois dans la plus haute tour du château. Lorsque le printemps revint finalement, il n’était toujours pas descendu. Sa chienne le suivait encore pas à pas, mais s’ennuyait des grands espaces autant que de la reine. Durant l’été, elle regarda par la fenêtre les animaux qui couraient dehors et souhaita les accompagner. Elle resta malgré tout avec son maître.

Le roi se décida enfin à sortir lorsque les premières couleurs de l’automne apparurent. Blanche avait maintenant atteint sa taille adulte et le roi savait qu’il devait la laisser jouer à l’extérieur. Il s’installa dans la salle du trône où il passa ses journées. Par la fenêtre, il observait sa chienne qui avait retrouvé sa liberté et sa joie. Son conseiller lui proposa d’organiser un bal pour se distraire. Il n’en avait pas envie, mais se dit qu’il pourrait apprécier un peu de compagnie. Il crut aussi que Blanche en serait ravie.

Tous les habitants du royaume et des alentours furent donc invités au château. Le soir du bal, le roi resta sur son trône sans danser ni parler à personne. Blanche demeura à ses côtés, bien qu’elle eût souhaité se dégourdir les pattes sur la piste de danse. Elle regardait, en remuant la queue, l’assemblée qui s’amusait. Tout à coup, une femme s’approcha du trône. Elle était tellement belle que le roi en eut le souffle coupé. Il l’invita à danser et Blanche les suivit sur la piste. La femme éternua à plusieurs reprises. Elle affirma être allergique aux chiens. Aussitôt, le roi demanda à sa chienne de s’éloigner d’eux. Blanche retourna près du trône, la tête basse.

Quelques mois plus tard, cette femme devint la nouvelle reine. Le roi était follement amoureux d’elle, et la chienne fut mise à l’écart. Elle n’avait plus le droit de suivre son maître partout ni de sortir tous les jours. Elle était obligée de s’installer dans une petite chambre du rez-de-chaussée loin de la nouvelle reine qui tolérait difficilement la présence de la chienne. Un jour, alors que Blanche se dirigeait vers la porte du château pour aller dehors, elle entendit la reine annoncer au roi qu’ils auraient bientôt un enfant. Elle lui déclara qu’elle ne pouvait plus supporter la chienne puisque son allergie pouvait être dangereuse pour la grossesse. Le roi devait absolument s’en débarrasser, sans quoi elle le menaçait de partir avec leur enfant. Le roi, heureux d’apprendre qu’il allait avoir un héritier, accepta la demande de son épouse sans se rendre compte du mal qu’il causait à sa chienne. Blanche sortit en courant et alla pleurer près de l’étang. Elle aurait souhaité ne pas être un chien pour pouvoir rester auprès de son maître pour toujours.

Le lendemain, à l’aube, un garde reconduit Blanche dans la forêt, très loin, plus loin qu’elle n’était jamais allée Elle ne put même pas dire au revoir à son maître qui dormait toujours. Son cœur était en mille morceaux. Elle marchait la tête basse et réalisa bientôt qu’elle était seule, que le garde l’avait abandonnée. Paniquée, elle courut dans toutes les directions à la recherche d’une piste fraîche à suivre. C’était inutile, elle ne reconnaissait ni l’endroit ni les odeurs. Elle était perdue, toute seule dans les bois, loin de chez elle. Elle continua d’avancer, cherchant un endroit où se réfugier, quelqu’un pour l’informer.

Elle arriva devant une maisonnette qui ressemblait à une niche. Elle était bien trop grande pour un seul chien et pourtant pas très haute. Elle gratta à la porte; personne ne répondit. Elle gratta de nouveau sans succès. La pluie commença à tomber. Elle décida de pousser la porte et d’attendre à l’intérieur que quelqu’un arrive. Elle fut surprise de voir sept petits coussins alignés devant le mur à droite et une rangée de sept gamelles à gauche. Sur chaque plat on pouvait lire un nom : Croqueur, Rouspéteur, Grand cœur, Poilu, Concombre, Courgette et Chef.

— Quels drôles de noms! se dit-elle.

Comme les coussins étaient trop petits pour elle, elle s’assit sur le tapis au pied de la cheminée pour attendre. Le feu n’était plus qu’un tas de braise lorsque la porte s’ouvrit enfin. Blanche retint son souffle, craignant la colère des habitants lorsqu’ils verraient une étrangère dans leur maison. Dans l’embrasure de la porte se tenaient sept teckels miniatures au pelage brun. Ils avançaient doucement sur leurs courtes pattes fripées. De chaque côté de leur tête pendaient de grandes oreilles. Le premier à voir la samoyède s’arrêta et la regarda avec de grands yeux.

— Qui es-tu? aboya-t-il.

Blanche avança vers eux en souriant.

— Je m’appelle Blanche, je vivais au château. On m’a abandonnée dans la forêt, je suis perdue.

Sept paires d’yeux la fixèrent avec attention. Les chiens étaient visiblement impressionnés par la grande taille de la samoyède qui faisait le double de leur grandeur.

— Je ne vous veux pas de mal, je désirais seulement m’abriter de la pluie. Si vous ne voulez pas de moi, je vais m’en aller, ajouta-t-elle en baissant les yeux.

Les sept compagnons formèrent aussitôt un cercle et jappèrent à voix très basse pour ne pas être entendus par Blanche. Leurs aboiements étaient aigus contrairement à ceux de la chienne.

— Nous ne savons pas si nous pouvons te croire, dit l’un des chiens.

— Tu prends beaucoup de place dans notre maison, renchérit un deuxième, collé à l’autre.

— Je vous en prie! Je vous aiderai à trouver à manger en échange d’un toit. J’ai peur dans la forêt toute seule, répondit Blanche.

Le cercle se reforma pour une dernière consultation.

— C’est d’accord pour ce soir. Demain, nous t’aiderons à retrouver ton chemin.

Blanche, ravie d’être acceptée parmi les teckels, prit grand soin de mémoriser leurs noms. Croqueur avait toujours quelque chose dans la bouche à cause d’un mal de dents. Rouspéteur rouspétait souvent. Grand cœur était celui qui avait insisté auprès des autres pour qu’ils l’acceptent dans la niche. Poilu était le seul à avoir le poil long et frisé sur son corps et ses oreilles. Concombre et Courgette étaient des jumeaux inséparables. Chef avait organisé la niche pour que Blanche puisse y dormir à son aise. Elle sortit chercher à manger aux alentours, en prenant soin de ne pas se perdre à nouveau. Elle tendit le cou pour apercevoir les lumières du château, mais ne vit rien à cause de la densité de la forêt. Poilu la rejoignit et lui posa des questions sur la vie au royaume. Il dit n’avoir jamais vu le château. Blanche fut découragée. S’il ne savait pas où se trouvait sa maison, il ne pourrait pas l’aider à retrouver son chemin. Elle dormit très mal cette nuit-là, faisant de mauvais rêves à propos de la nouvelle reine. Sa première maîtresse lui manquait. Elle voulait que tout redevienne comme avant.

Le lendemain matin, Blanche et ses sept nouveaux amis se préparèrent à se mettre en route. Chef annonça qu’il fallait aller à droite, Courgette et Concombre dirent qu’il fallait aller à gauche et Rouspéteur ne voulut aller nulle part. Incapables de se décider, ils demandèrent à Blanche de leur décrire ce qu’elle avait vu la veille. Comme elle avait reniflé le sol pendant tout le trajet, elle ne se souvenait de presque rien.

— Je me rappelle d’une petite rivière bordée par des pommiers, dit-elle après avoir réfléchi.

Les sept amis se consultèrent. Il y avait cinq rivières dans la forêt. Ils décidèrent d’aller vers chacune d’elles pour que la mémoire revienne à Blanche. Les huit chiens parcoururent un sentier et arrivèrent à une première rivière bordée par des fougères; ce n’était pas la bonne. Plus loin, ils en rencontrèrent une deuxième très large que Blanche ne reconnut pas. La journée passa sans qu’ils ne trouvent le bon chemin. Le lendemain, ils décidèrent de se séparer pour couvrir plus de terrain. Divisés en deux groupes de quatre, ils quittèrent la niche en cherchant des traces de la Rivière-aux-pommiers. Blanche ne savait plus quoi penser. Peut-être s’était-elle trompée? Peut-être n’y avait-il jamais eu de pommiers?

Elle se promenait depuis plusieurs heures avec Courgette, Concombre et Poilu lorsqu’elle entendit son nom au loin. Les quatre amis s’arrêtèrent immédiatement et tendirent l’oreille. Qui pouvait bien l’appeler ainsi? Ce n’était pas un chien, c’était certain. La voix semblait venir de partout à la fois. Les oreilles bien dressées, Blanche la reconnut enfin. C’était le roi, elle en était certaine! Il la cherchait, il voulait la retrouver. Le son provenait de sa droite. Elle se mit à aboyer le plus fort qu’elle put et courut vers la voix. Elle avait bien entendu, c’était bien le roi qui l’appelait. Il était fou de joie de la retrouver. Elle lui sauta dans les bras et lécha son visage à grands coups de langue, le faisant éclater de rire. Les serviteurs qui accompagnaient le roi regardèrent la scène avec amusement. Bientôt les sept teckels arrivèrent en courant, alarmés par les aboiements. Blanche accueillit ses amis en battant de la queue et en léchant la tête de Chef qui était arrivé en premier. Le roi les invita à venir vivre au château. Les sept compagnons approuvèrent tous vivement. Ils se mirent en marche et longèrent la Rivière-aux-pommiers avant d’atteindre l’enceinte du château quelques heures plus tard.

Blanche, ravie de retourner au château, était malgré tout inquiète de revoir la reine. Comme s’il sentait sa peur, le roi se pencha vers elle et la regarda dans les yeux.

— Ne t’inquiète pas, personne ne pourra plus nous séparer. La reine prend de l’essence de pommes pour soigner ses allergies. Je l’ai convaincue de te reprendre avec nous au château. J’ai eu tellement de peine que tu nous quittes. Nous resterons tous ensemble à l’avenir.

Le cœur de Blanche s’emballa de bonheur. Elle était tellement ravie de pouvoir rester au château avec son maître. À partir de ce jour, ils redevinrent inséparables. À la naissance de l’enfant, Blanche et lui devinrent aussi amis. Sept autres enfants arrivèrent dans les années suivantes. L’amitié entre les chiens et la famille continua de grandir et ils vécurent tous heureux jusqu’à la fin des temps.