Ce texte a été écrit dans le cadre du concours Reliures organisé en 2018 par les Jeunes programmatrices de la Maison de la littérature de Québec.

Le train s’arrête net et te tire d’un sommeil agité. Tes repères se bousculent depuis ton départ du Midwest. Au travers des montagnes immenses qui te tiennent compagnie depuis huit mois, ton petit village perdu près du fleuve est remplacé par des centaines d’autres aussi insignifiants.

T’as troqué les non-dits et les questions pour une parcelle de l’Ouest.

Pour éviter les crises et les insomnies.

Oublier ton nom et tout ce qui venait avec.

Ton sac lancé sur le sol poussiéreux, tu sautes du train pour continuer ta route vers nulle part. À pieds, pour un moment. Te fondre dans le silence des grands espaces.

T’as pris la fuite dans les couleurs changeantes d’octobre, sans d’autre choix que de cesser les mensonges et de partir sans même une note. Suivre ton rêve d’adolescence, la première fois que t’avais lu On the Road.

Un sac sur le dos, pour pas avoir à expliquer pourquoi c’était il maintenant. Plus avoir à expliquer qui t’étais.

T’as parcouru ton continent d’Est en Ouest, en te cachant derrière tes vieilles chemises à carreau oversized et ta casquette délavée. Ton visage doux, bien intact derrière les lunettes de James Dean et les chapeaux.

T’as trainé longtemps, comme ça. Jusqu’à devenir figurant d’une trame pas très originale. Les mains tachées par les kilomètres et le souvenir flou d’elle qui fait encore partie de toi.

Mais aujourd’hui, tu te sauves plus. Tu marches dans les bottes de ton père, celles en cuir usé que t’as volées pour laisser le soleil guider ta course.

En laissant ce qui se cache sous tes vêtements trop amples dans les états qui guident tes pas. Kerouac t’emmène danser, en course contre le rêve américain qui s’efface à chaque mesure.

Et alors que tu transpires un nouveau nom, ton corps décide de vivre pour la première fois.

Enfin tu peux faire comme si.

Plus avoir à te contrefaire une autre identité.

Tu peux rêver, jubiler dans les maux de dos, les restes d’alcool et les journées interminables. Laisser les nuages changer avec le temps, ton visage se durcir et tes cheveux te chatouiller le visage.

Le bras tendu depuis de longues minutes, t’attends impatiemment que quelqu’un s’arrête. Tu te racles la gorge et redresses tes épaules, juste pour. Tellement ailleurs dans tes pensées que t’entends pas le pick up qui s’arrête près de toi.

— You need a ride, kid?

Au pays des cowboys et des indiens, c’est le redneck qui t’as choisi. Sans chapeau sur la tête, ni country à la radio. Dans un vieux Ford, en majuscule. Le cliché te rassure et te convainc d’embarquer sans hésiter.

Aussitôt la porte refermée, ton chauffeur déverse des bribes de sa vie. L’Iraq, au milieu des missiles, des mines et des mauvaises nouvelles. Ses mots se rendent à toi comme un écho oublié de ta vie au travers de la sienne.

Les gens laissés chez toi te reviennent tout à coup. Tous ceux que t’as croisés depuis ton départ, quelques visages qui s’oublient au creux des montagnes. Dehors, les débris de soleil se cachent derrière les rochers et les cactus crochis. Tu regardes ton reflet dans le miroir et tu souris.

— Where you goin’, son?

Son.

Ton visage s’illumine, ton regard se perd dans la route cahoteuse.

On part pour souvent mieux revenir, qu’on dit.

Changé, comme si le temps et l’espace feraient de soi quelqu’un d’autre.

Pour toi, c’était de te perdre pour revenir la personne que tu gardais cachée depuis que t’étais enfant. Celle qui voulait sortir depuis qu’on t’avait dit que les voitures, c’était pour les garçons.

Mais pour le moment, tu te berces dans le vide des John Wayne et des Ginsberg. Tes héros d’enfance porteurs de liberté quelque part sur la route 66. Tu suis leurs traces au travers des reliques du Far West et des canyons trois-couleurs.

Dans votre course sur le bitume, c’est le chauffeur qui gagne.

Plus il roule, plus tu gouttes l’odeur de l’océan dans ta bouche. Tes pieds engourdis dans le Pacifique, la brise qui nettoie ta peau rougeâtre.

Plonger ta tête brûlée dans les vagues, bordées par les falaises qui grognent. T’enfuir dans les forêts d’arbres géants, loin du désert où on crève à l’année.

Oublier, reculer, revenir.

Rouler sur le pont de Big Sur, encore plus loin.

Dans le sable de la Californie des promesses, du surf à l’année et du vin cheap.

Ta. Californie.

— That’s me, right here.

La route tourne au noir derrière vous et Jim-John-Jack arrête son Ford dans un petit village fantôme bordé par le ciel gris et les lumières de Vegas.

Une poignée de main, un regard et la voiture s’engouffre loin du diner ouvert 24/7. L’enseigne amputée t’aveugle de ses couleurs qui peinent à y rester.

L’odeur de la graisse et du café t’accroche le cœur. Direction cheeseburger and fries.

Peut-être qu’un jour tu vas pouvoir revenir. Que l’hiver pourra changer avec toi. Mais pour l’instant, tu te confortes dans l’idée de recommencer à zéro à l’endroit qui te parait le bout du monde. De tomber dans l’Amérique qui connait pas ton nom.

With a milkshake, please.