Ce texte a été écrit dans le cadre du concours Reliures organisé en 2018 par les Jeunes programmatrices de la Maison de la littérature de Québec.

Y’a un hologramme de Saint-Christophe
accroché au rétroviseur par un chapelet.
Un Reader’s Digest délavé dans un panier en filet
derrière le siège passager.
Des sacs de jujubes faits avec du vrai jus de fruits.
Je sais pas encore j’suis où, mais je pense que c’est safe.

On roule vers Val-Bélair.

Une inconnue me raconte depuis un bout
une histoire impliquant un vinier
pis des clefs d’une chambre d’hôtel de Burlington.
Je saurais pas en dire plus,
mais j’ai l’impression que l’anecdote se veut rigolote.

(Rire forcé.)

Je fais ce que je peux.

Je la fixe tellement que je finis par la reconnaître.
Mon vomi nerveux dans la poubelle du char
passe inaperçu.

Entre le moment où j’ai braillé sur les plaines dans le dos à Francine,
pis celui où je me suis retrouvée sur la banquette arrière de sa Camry Hybride,
je le sais pas ce qui s’est passé.

On s’est stationné devant un bungalow.
« Tu vas être contente il nous reste du gâteau aux carottes. »
Francine est rentrée en courant.

Pour compenser, je suis restée immobile dans la voiture avec Michel.
Me semble que c’est ça son nom Michel ?

(Temps.)

J’ai dit : aye je pense à ça je peux pas manger de sucre je suis diabétique.
Il m’a dit : fais-toi s’en pas de toute façon il fallait qu’on change la poubelle.
J’ai dit : mes grands-parents aussi avaient un chapelet sur leur rétroviseur.
Il m’a dit : quand ce sera fini j’irai te reconduire.
J’ai dit : est-ce que tu trouves que je lui ressemble tant que ça ?
Il m’a dit : veux-tu que je te prête un chandail ?

Il est rentré. Je l’ai suivi.

Sur la table de cuisine,
y’avait une carotte crue dans une assiette.
C’était évident que Francine voyait vraiment
du crémage praliné sur la pelure.

Burlington,
c’est une destination idéale pour un voyage de noces à petit budget.
C’est ça que je retiens.
C’était comme ça en 68 en tout cas.
« Hein Michel? »
Faque j’étais correcte, il s’appelle Michel.

Au début,
il y avait juste Francine qui éprouvait du plaisir.
Elle égrenait nos souvenirs communs inexistants
sans se rendre compte que Michel et moi,
on regardait le même coin de nappe.

Mais son enthousiasme a rongé l’étrangeté.

Elle m’a dit : te rappelles-tu Coralie une fois au cinéma.

Hein ?

Une fois au cinéma.
On t’avait amenée avec Michel.
On t’avait payé un gros sac de bonbons.
T’avais dix ans.
Tu voulais pas les partager.
Tu m’en promenais un devant les lèvres,
que t’éloignais quand j’essayais de le mordre.
La fois où t’avais décidé de le laisser là,
c’était celle où je m’étais décidée à l’attraper.
Je t’ai mordu l’index à pleine dent.
T’as crié.
La salle a fait le saut.
T’étais fâchée.
Pis Michel pis moi, on riait.
T’en rappelles-tu, Michel, on riait?

Michel me fixait.

J’ai dit : Ben oui.
Ben oui c’est sûr.
Certain que ça me dit quelque chose.
Voyons Francine!
Quand tu m’as mordue au cinéma.
Hein Michel?

Francine riait.
Elle pleurait de rire.

Pis là, Michel pis moi,
on s’est laissé le droit, en même temps
de vivre des retrouvailles.
Je le sais parce que simultanément,
on a pris une bouchée du gâteau,
pis on s’est alterné le crachoir.

Elle m’a dit : te rappelles-tu quand une chèvre des montagnes
était grimpée sur le capot de notre char
au parc Nature de Montebello?
Michel nous a rappelé le party de Noël
où sa sœur allergique aux avocats
s’était claqué un sac de Doritos à la guacamole.
J’ai dit : Pis quand Michel m’apprenait à conduire,
et que j’avais tinqué au diésel
au lieu du pétrole.

Je le sais pas combien de temps ça a duré.
Le temps que ça prend pour un fou rire de s’épuiser,
ça varie selon le monde.
Mais c’est important de savoir qu’on s’est rendus là.

D’une traite, ça s’est arrêté.

Silence.

Francine m’a regardée : on aurait aimé ça que tu donnes des nouvelles avant.

Elle s’est levée.
Elle m’a étreinte.
Elle m’a souri.
Elle m’a dit bonne nuit,
et elle est montée dans sa chambre.

Michel a pris ses clefs,
l’air de dire qu’une promesse,
c’est une promesse.

On a pas parlé sur le chemin.
On a pas mis la radio.
On était juste bien, même si le char sentait le vinaigre.
On se partageait un sac de jujubes.

Il m’a déposée devant chez nous.
En ouvrant la portière,
la phalange m’a élancée.

Michel attendait que je sois rentrée,
avant de repartir.

En débarrant ma porte,
j’ai remarqué une marque de dents sur mon index.
Pis à bien y penser,
j’suis pas mal sûre qu’il restait du crémage à gâteau
dans la moustache à Michel.