Je me souviens d’avoir eu vingt ans et d’avoir vu un groupe d’écrivains sur scène – des hommes et des femmes. Ils ont dit, évidemment, qu’écrire était important pour eux, mais que leurs enfants l’étaient plus encore. Je me suis sentie si rebutée. Ils avaient l’air si peu sérieux pour moi. Je n’ai jamais voulu être comme ça – avoir quelque chose de plus important dans ma vie que d’écrire. Pourquoi se feraient-ils ça à eux-mêmes ? Sheila Heti, Motherhood, p. 187

 

Enfant, peu de choses retenaient mon attention, en dehors des histoires, les livres et les films, que je dévorais. Je m’imaginais écrire, comme les personnages des romans que je lisais (je réalise ces temps-ci à quel point mon amour pour Lucy Maud Montgomery et son héroïne Anne Shirley n’est pas spécial ; ça revient chaque fois qu’on demande à une auteure ses influences de jeunesse). Je vivais une épiphanie : j’avais trouvé ce que je voulais devenir dans la vie. En même temps, ça me semblait inaccessible et la réalité me rattrapait : trouver un champ d’étude, chercher du travail, rencontrer idéalement un amoureux, acheter une maison, avoir des enfants. Ce qui a l’air tout tracé pour la plupart des gens m’apparaissait comme une cage.

J’ai réellement envisagé l’écriture après avoir vu le film Girl, interrupted, à vingt ans, au cinéma Charest. J’avais pris une pause des études pour une durée indéterminée, je travaillais comme caissière. J’habitais dans le sous-sol chez mes parents. La plupart de mes amis voyageaient, vivaient en appartement. Je n’avais pas d’amoureux. Je vivais crise de panique sur crise de panique. Je me sentais devenir folle. Les mots de Winona/Susanna m’ont bouleversée. J’avais toujours voulu les prononcer pour expliquer ce qui m’habitait, sans jamais y arriver :

Je sais ce que c’est que de vouloir mourir. Que même sourire fait mal. Qu’on essaie de faire comme les autres, mais qu’on n’y arrive pas. Qu’on se fait mal à l’extérieur pour tuer la chose à l’intérieur

Août 2011. Assise sur le rebord froid du bain, je braille ma vie. Je détourne les yeux très vite du bâtonnet de plastique où deux petites lignes viennent d’apparaître.  Je fixe mes orteils. Devenir mère n’est pas une option. Quand il a été clair que je voulais écrire, il n’y a eu plus que ça. À présent, j’ai peur de mourir sans avoir vécu, sans avoir écrit de la manière dont je le souhaite, dans la liberté la plus grande.