De loin, Adam m’aperçoit descendre les escaliers Casse-Cou à la course. Je le salue d’un geste excessif de la main et me sens aussitôt stupide. Il porte des pantalons Adidas et un t-shirt monochrome. Je ne l’ai jamais vu porter autre chose. La terrasse inondée de soleil a besoin d’un bon coup de balai. Adam débarre la porte du bar avant que j’arrive à sa hauteur, désarme le système de sécurité, garroche son sac de sport et ses chaussures à crampons dans un coin, allume le four à 550 degrés, puis se claque deux allongés back to back. Ça lui en prendra encore deux autres pour redevenir civilisé.

On s’active en silence. Un bateau de croisière est amarré dans le Vieux-Port. La journée s’annonce étouffante. Les clients débarquent progressivement : Italiens, Hongrois, Tchèques. À midi, les gars de la garde côtière nous payent des shooters de whiskey. Je ne sais pas dire non. Et puis ça m’aide à garder le tempo. Je gambade entre les commandes, les cruches d’eau et les ustensiles. Les pintes coulent, les plateaux tournent comme des parapluies dans une comédie musicale. Je crains à tout instant de les renverser – je fais des push-ups, le soir, chez moi, pour renforcir mes biceps. En cuisine, Adam continue de sortir les assiettes à un rythme constant, presque surhumain. Après chaque service, il prend une longue lampée de bière et essuie son front avec une serviette de table. J’évite de trop le regarder, mais je connais le moindre de ses gestes, devine son bras droit en direction du lavabo, son pied gauche qui retient la porte du frigo.

À cinq heures, après avoir fait payer tout le monde, je compte la caisse. Céline et Louis sont arrivés. Adam finit de ranger la vaisselle, de gratter les plaques du four, de remplir la réserve de cannettes de Sprite et de soda. On fume une clope ensemble dans la ruelle. La chaleur est un peu tombée. À peine. Les shooters barbotent entre les côtes de ma cage thoracique. Je voudrais que ma cigarette ne s’éteigne jamais. Qu’elle brûle jusqu’à mes phalanges, puis mes poignets. Qu’Adam m’en offre une deuxième. Ce serait galant, mais sa pratique de soccer commence à six heures, et le coach est à vif. La grande finale approche, s’il veut jouer, Adam doit se tenir à carreau.

Je rentre chez moi la mine basse, traînant les pieds.