Printemps. Basse-ville de Québec.

La lumière commence à revenir. Celle du soleil. La mienne tremblote encore.

La neige fond sur le toit, et le bruit de l’eau qui s’écoule en filet par la gouttière donne l’impression d’un ruisseau courant à l’intérieur des murs de ma chambre. Le matin, je fais exprès de m’attarder au lit pour être bercée par la musique de l’eau. J’attends que le soleil perce la fenêtre et se pose sur mon visage.

J’ai sorti mes bottes de caoutchouc roses du fond du garde-robe. Au printemps, la Basse-Ville met à l’épreuve notre patience. C’est beaucoup de slush et de boue, de flaques parfois profondes et de neige apparemment durcie dans laquelle le pied s’enfonce. Le vert finira par s’installer, dans les parcs, au bord de la rivière Saint-Charles, sur les balcons et parfois dans les arrière-cours, mais en attendant, le printemps est brun et humide, et à mesure que la boue sèche, la poussière recouvre tout.

Fred, mon chien-ours, se réjouit du réveil des écureuils. À côté, à l’autre bout de notre balcon commun, Robert a sorti sa chaise longue et son poste de radio. En bas, le Petit Prince a organisé un grand lave-auto dans lequel baignent à tour de rôle des dizaines de voitures miniatures, avant de s’aligner sur le rebord du garde-fou où elles sèchent au soleil.

Il pousse quelques chantiers de construction, ici et là, près de la rivière, vers la Pointe-aux-Lièvres ou au pied du cap Diamant. De nouveaux blocs appartements, plus chers, se mêleront aux vieux immeubles du quartier, aux maisons des Plouffe et d’Alys Robi. Ils les dépasseront souvent d’un étage, ajoutant à l’éclectisme architectural et humain de Saint-Sauveur. Des arbres seront sacrifiés. J’ai parfois l’impression qu’on échange quatre trente sous pour une piastre. Je m’inquiète peut-être pour rien. La seule certitude, c’est que rien n’est permanent.

Quant à moi, j’attends l’élan qui me sortira du grand marasme hivernal. Ce quartier m’habite toujours comme un sentiment d’inquiétante étrangeté dont je ne peux me défaire, sans toutefois parvenir à en saisir l’essence. Un lieu un peu décalé où se côtoient des générations anachroniques, au centre de la ville mais à l’écart des lieux décisionnels et des grands évènements. Chaque soir s’y juxtaposent les gaz d’échappement du boulevard Charest et le coucher du soleil rose sur les montagnes Laurentides. Un oxymore.