Témoignage

 

J’ai été invitée en 2014 au Salon du livre de Montréal à participer à une activité consacrée aux écrivains incarcérés, qui était parrainée par le Centre québécois du PEN International, l’Union des écrivaines et écrivains québécois et Amnistie internationale. Il s’agissait de Livres comme l’air, qui a eu cours de 1999 à 2019. En 2014, j’avais été jumelée à Dawit Isaak.

« Dawit Isaak est un journaliste, poète et écrivain suédois d’origine érythréenne. Il est allé vivre en Suède en 1987 et est devenu citoyen suédois en 1992, tout en gardant son ancienne citoyenneté érythréenne. En 1993, après la fin de la guerre et l’indépendance de l’Érythrée, il est retourné à Asmara où il a été cofondateur et rédacteur en chef du premier journal indépendant du pays, dénommé Setit. »

Voilà 20 ans que Dawit Isaak est incarcéré et qu’aucune nouvelle de lui ne nous parvient. Détenu depuis 2001 dans les geôles érythréennes, jamais jugé, c’est l’un des journalistes ayant passé le plus de temps en prison au monde. Reporters sans frontières vient de déposer une plainte pour crime contre l’humanité.

 

Livres comme l’air (LCA) était une activité annuelle de sensibilisation du grand public à l’importance du droit fondamental à la libre expression, ladite activité ayant eu lieu dans divers salons du livre et festivals littéraires. LCA réunissait des écrivaines et des écrivains québécois, les jumelant à des écrivains emprisonnés ou menacés, auxquels ils dédicaçaient un de leurs livres. Cette dédicace était lue en public, accompagnée des notes biographiques de l’écrivain emprisonné ou menacé. Le livre dédicacé était ensuite acheminé à la prisonnière ou au prisonnier. Une attention particulière, une bouffée d’espoir, pour lesquelles, d’après les témoignages recueillis, les destinataires étaient très reconnaissants.

 

Poème dédicacé à Dawit Isaac (Érythrée-Afrique)

 

21 novembre 2014

 

Poème en français

 

l’histoire parjure la liberté

mon ami

les barreaux ont raison du firmament

le cœur bâillonné     les mots amputés

tu croupis dans l’injustice

et tu lèches la rouille de tes fers

 

par l’embrasure du ciel

dis-moi     quel oiseau te porte l’espoir

 

 

dans la noirceur     captif

ta plume éperdue dans les décrets

les dictats labyrinthiques     la mélasse politique

englouti     la parole garrotée

tu pagaies dans l’angoisse

et l’hébétude du reclus

les murs bétonnent ta solitude

 

entre les cisailles du cauchemar

mon ami dis-moi     quelle aile dissipe ta brume

 

un écheveau de barbelés déchiquette ta pensée

le rouge badigeonne les issues

je cherche ton numéro     ton visage

ta main parmi les écroués     les boulonnés

ton souffle caresse-t-il encore la lumière

par les meurtrières     ta vie fuit-elle mon ami

dis-moi

 

que sais-je de tes blessures hémorragiques

de l’espérance tranchée par ton bourreau

que sais-je du jour occulté

du proscrit     de l’exilé des frontières

 

et je dessine quelque soleil à te transfuser

ne serait-ce qu’un seul rai dans une artère

et je t’écris pour te dire tout l’amour

une volonté à t’infuser     par-delà le confinement

 

dis-moi mon ami

pour parvenir jusqu’à toi

suffira-t-il d’une unique enjambée

mon ami

 

 

—-

Poème en anglais

 

history breaches freedom

my friend

bars defeat the firmament

heart gagged     words amputated

you rot in injustice

and you lick the rust from your chains

 

by the doorway of heaven

tell me     what bird carries you hope

 

captive in the darkness

your pen distraught by decrees

labyrinthine politics     molasses

engulfed     speech garroted

you paddle in anguish

and the dullness of reclusion

walls cement your loneliness

 

between the shears of nightmare

my friend tell me

what wing dissipates your haze

 

a tangle of barbed wire shreds your mind

red whitewashes all exits

I seek your number     your face

your hand among the imprisoned     the bolted

does your breath still caress the light

by the loophole     does your life flee my friend

tell me

 

what do I know of your bleeding wounds

expectations chopped by your executioner

what do I know of the overshadowed days

the outlaws     the deported from boundaries

 

and I draw some sun to transfuse you

if only one ray in an artery

and I am writing to tell you all the love

a willingness to infuse you     beyond containment

 

tell me my friend

to reach you

will only a stride suffice

my friend