1.

On prononce des mots. On les devient. On nous écoute habillé⸱e⸱s essentiellement par eux. On ne sera que ces mots. Et on sera ainsi jugé⸱e⸱s. Si on ne s’exprime pas avec des mots, on sera jugé⸱e⸱s pour leur absence. Des mots se font la guerre sur les réseaux sociaux, appuient l’ignorance politiquement correcte. On veut donner notre avis, on est prêt⸱e⸱s à une sentence facile, il faut coute que coute participer à un lynchage et à un deuil en ligne. Pourtant, attention! Si on exprime des pensées réfléchies, on pourrait vous prendre pour un.e fou⸱le. Au jour le jour, on met mots sur un combat médiatique et existentiel, entre morale et politique, entre dire et ne pas dire, pour tenter de se reconnaître dans les autres comme on se reconnaît devant un miroir.

2.

Les mots forgent les lois et les états de droits, qui théorisent et mettent en pratique des définitions, qui créent et gèrent des nations, et donc des étranger⸱ère⸱s. D’une génération à l’autre, par l’éducation – écoles, lieux de culte, centres communautaires, théâtres, universités, salles d’exposition -, une nation est créée, normalisée, rendue innée. Les étranger⸱ère⸱s sont forgé⸱e⸱s par des mots, des histoires, des traditions et des légendes. Les mots des étranger⸱ère⸱s seront toujours entendus à travers l’identité étrange de l’étranger⸱ère, façonnée par les livres scolaires, les romans, les poèmes, et bien sûr, les autoritaires formulaires d’immigration. On ne voit pas une personne dans l’étranger⸱ère. On entend l’étranger⸱ère comme une déviance avant même qu’iel explique son point de vue. L’étranger⸱ère est une figure opaque, condamnée historiquement, voilée d’incompréhension par les êtres nationaux.

3.

Il faudrait être toustes des étranger⸱ère⸱s, être privé⸱e⸱s du sens commun des choses, être catapulté⸱e⸱s en-dehors des zones de confort, plonger au plus profond des cauchemars des apatrides. Il faudrait toustes devenir des étranger⸱ère⸱s pour ne plus voir ni entendre d’étranger⸱ère⸱s, pour voir et entendre des personnes, pour dénuder l’artificialité de ces identités qui donnent chair à nos abus de pouvoir. Il faudrait que les étranger⸱ère⸱s deviennent le point de départ pour penser de nouvelles identités.