Ces textes ont été écrits sous contraintes dans le cadre du Cabinet des idées reçues tenu au Musée National des beaux-arts du Québec le 30 mars 2012, pendant la Nuit de la création.

 

Contraintes :

Temps – Entre le réveil et le premier café…

Personnage – Jean Charest

Autre contrainte – Prosodie

À la manière de – Luc Plamondon

Thème – Un tourbillon

Parce qu’il le faut bien, hen? Se lever, je veux dire. Se lever, bouger, agir, avancer. Exister. Comme si à l’horizontale, on ne comptait pas. Pourquoi toujours valoriser la mise en application? Moi je dis que la naissance d’une idée, ça se fait souvent au lit, et c’est aussi important – sinon plus – que de passer à l’action. Parce qu’une fois levé demeure toujours la possibilité de foirer. Couché, les risques sont moins grands. Dans les rêves et les scénarios qu’on se fait la tête sur l’oreiller, le corps bien au chaud sous les couvertures, c’est rare qu’on échoue. Prenez Jean Charest, par exemple. Il se lève tous les matins. Et il en fait, des conneries! Je lui suggère de rester couché plus souvent. Et plus longtemps.

On sous-estime vraiment le sommeil. Je ne dis pas ça juste parce que je suis dans l’entre-deux. C’est vrai quoi, faut dormir. Pourquoi on juge les adultes qui dorment trop? Qui ne veillent plus jusqu’aux petites heures? Quand j’étais bébé, on était bien heureux que je me tape une grosse nuit assommée!

J’aime dormir. À peine éveillée, je pense à dormir. À y replonger, dans ma torpeur, dans mes songes, dans ce tourbillon de pensées. Parfois quand j’en émerge, je peux à peine récapituler l’ensemble, mais peu importe, c’était là, je le sais. Et j’en veux encore. Recommencer. Sombrer.  Moi je dis qu’il n’y a que ça de vrai.

Contraintes :

Mot ou phrase – Le cervelet dans les talons

Personnage – Judas Iscariote, le traitre parmi les douze apôtres du Christ

À la manière de – La tirade de Cyrano

À la manière de – Proust

Espace – En région

Mot ou phrase – lumière

À la manière de – Woody Allen

Autre contrainte – « Comité de ci, comité de ça…  À un moment donné, trop c’est trop!  On en laisse tomber un ou deux, et ouf!  On se sent mieux, plus heureux. »

Thème – Comment serait ma vie si je ne savais pas lire ni écrire…

Le cervelet dans les talons.  J’ai le cervelet dans les talons.  Pire : c’est dans le sol, qu’il se trouve! Il est perdu dans le plus profond, le plus creux, le plus loin possible de la raison. Mon cervelet se trouve dans un autre espace, dans une autre galaxie. Et mon cerveau pend derrière, pas très loin, attaché à une ficelle. Je dérive.

Je ne contrôle plus rien. Je ne réfléchis plus. J’ai commis la faute, l’irréparable. Ma conscience est ailleurs. Je suis l’infâme, le traitre, le rustre! Je ne m’explique pas cet acte impardonnable. L’irréversibilité de la chose me paralyse.

Je me suis trop donné. Brûlé. J’ai épuisé toutes mes énergies, toutes mes ressources. J’en suis arrivé là. La fatigue m’a gelé. Je n’ai pas su concentrer mes efforts où il le fallait. Alors j’ai gaffé. J’ai flanché. J’ai fait couler mon ami.

La trahison. Accomplie comme une simple transaction. Je me suis levé, me suis étiré, ai fait craquer tous mes os. Je n’ai parlé à personne, j’ai tu ce grondement sourd qui courait en moi. Je sentais mais je ne savais pas. Je suis sorti, ai vaqué à mes occupations. J’ai mangé aussi. Je me suis rendu en campagne, où l’on m’attendait. Et c’est là que, d’un coup, tout est devenu clair. Une lumière m’a irradié. Pendant un court instant, je me suis tenu droit. J’ai prononcé les mots.

Et puis j’ai perdu pied. J’ai tangué. J’ai construit un mur qui me séparerait à jamais des autres, de lui. Sans équilibre, j’ai voulu m’appuyer contre cette façade, mais même elle me reniait. Je suis l’infâme. D’un coup, d’une parole, je le suis devenu. Mon sort demeure incertain. Je veux avancer. Mais j’hésite. Je trébuche.

Contrainte :

Personnage – Smack Daddy, une jeune fille qui fait du roller derby (patins à quatre roues)

Tous les samedis soirs, j’enfile mes patins et je fais la course. Je botte le cul des autres. Je gagne souvent. Dans l’arène, ça crie. Mon nom, des obscénités, des onomatopées, des encouragements, des frustrations. Les gens déversent leur semaine sur nous. Ils s’excitent de voir des filles patiner, presque pliées en deux. Quand je remporte la course, on entend plus de cris de joie que de sacres. Je pense que le public m’aime bien. Les samedis soirs, on me hèle, et moi je patine. «SMACK DADDY!  SMACK DADDY!» Souvent, un côté de la foule hurle le «Smack» de mon nom et l’autre répond «Daddy». Ça me fait tripper. Tous les samedis soirs, je suis Smack Daddy.