[information]Ce texte a été écrit dans le cadre du cours « Exploration des genres » donné à l’automne 2015 par Chloé Savoie-Bernard à l’Université de Montréal.[/information]

[heading style= »subheader »]Le siphon[/heading]

Je reviens tard du travail pas le temps d’écrire ni même d’aller aux toilettes vider ma terreur par le bas surtout pas le temps de donner des nouvelles à ceux qui en demandent ou de se tourner de bord pour cracher juste à penser que la télé était fermée pour le match ou que dehors il fait nuit je me suis vu perdre des minutes à jeter quelques paires de bas il y avait des trous dedans c’est ce que j’ai comme cœur depuis vendredi alors je mets un album d’un groupe qui coule en secondes je l’avais acheté sans l’écouter mais vraiment j’ai d’autres trucs à faire et au même moment qu’hier il me manque quelque chose et demain je dois partir travailler mais je fais plutôt une lecture je suis en effervescence comme si un tas de bulles d’air me rentraient par le nez et me gonflaient le crâne il paraît que mon grand-père recherchait l’indicible je crois être pareil mais lui il en est mort et ça c’est sans parler de la maladie alors je me demande pourquoi je me suis plongé là-dedans je veux pas rien y perdre enfin je pense faire à souper ce soir ce serait bon de prendre le temps de cuisiner or je commence tôt demain à l’ouvrage c’est beaucoup de pression je prends un take-out autant me coucher avant d’exploser j’ai un texte à finir et il est passé minuit mais j’écoute la musique avec tout ce qui me pèse j’ai la tête qui déborde de poussières immuables j’ai congé dimanche j’en profiterai aussi pour étudier parce qu’où j’en suis la théorie est assommante rien de bon le film était long ma blonde arrive je caresse ses lèvres du bout du bec et on remet ça à plus tard

 

[heading style= »subheader »]Le boudin[/heading]

Je fais quoi avec ce que j’écris je pense comme je me mène au néant voilà hier j’ai reçu une lettre du gouvernement sans savoir pourquoi je suis sous enquête sûrement parce que le fleuve est rempli de mes excréments je vois toujours des badauds jouir des gens qui souffrent ça me révulse comme quand le médecin à l’hôpital m’a dit avec un sourire que j’allais mourir si je courais ou si je mangeais une frite je passe donc des tests et je m’effrite car j’ai les vaisseaux sanguins creux la technicienne ne les trouve pas alors je ferme les poings perce mes paumes de mes gros doigts l’aiguille me tiraille et la télé au mur montre du sang et des corps en grosses couvertures mais toujours aucune Palestine à l’arrêt d’autobus j’ai les pieds mouillés ma blonde m’appelle j’écoute les yeux dans le vide je pense à son corps sur le mien c’est long enfin j’embarque et j’écris puis désœuvré je lis Hugo j’ouvre Facebook par désintérêt c’est là que je me dis que le médiocre fait du bien dehors dans cette multitude on me crie à l’oreille qu’avec son vent l’hiver sera méchant j’ai toujours eu peur de crever de froid c’est pas impossible que mon hémoglobine se fige c’est mon hiatus j’ai le cerveau dans un court-bouillon c’est-à-dire que je me déverse dans le boyau de ma tête où sous pression je cuis mais de ce sentiment familier j’arrive trempé la trempe qui bout au travail je me change et je commence par me couper les doigts je me susurre que tout va bien c’est là qu’on me dit qu’il se passe des affaires à Paris et j’en coagule car je sais que je ne suis qu’un de ces moribonds assistant au spectacle de la souffrance

 

[heading style= »subheader »]La viande[/heading]

Hier matin je suis entré aux toilettes pour me raser j’ai été attentif devant mon reflet pour éviter de me saigner je me suis fixé direct dans la mauvaise humeur et j’y ai vu un autre un spectre qui avait les os à l’envers et la peau dans ses creux alors révulsé je suis parti sans finir c’est sans issue puisque chaque fois que je perce la glace des yeux elle me renvoie la plus immonde des viandes c’est pour ça qu’il faut toutes les briser les hacher les jeter les cacher ce sont des noyaux d’horreur qui font pourrir les fruits à même l’arbre mais pourquoi ça me tiraille ainsi ma blonde et moi sommes partis faire des courses et dans une boutique de décoration j’ai été apeuré par le spectacle de tous ces miroirs j’ai donc évité les rayons où les surfaces nous prennent nous gobent et nous digèrent je refuse d’être avalé et recraché de me voir dans cette soupe et de ne penser qu’à ce monstre je l’ai dit à ma blonde je l’ai répété je l’ai scandé je n’ai plus envie d’apercevoir mon reflet ça me hante ça me tord la tête et les boyaux mais je comprends qu’elle puisse me trouver ridicule c’est une drôle de chose alors nous sommes rentrés à la maison elle m’a consolé et elle a avoué vouloir me croquer alors je me suis senti mieux mais dans la chambre lorsque qu’elle est passée au reflet et qu’elle s’est vue en carcasse ou en un mal indéfinissable et que j’ai tenté la même affection elle est restée inconsolable je ressens sa misère je la maudis je la mastique au quotidien j’en développe son amertume et en buvant une bière le soir je me suis peiné d’être l’origine du dégoût de la chair je m’en veux de lui avoir forcé un conduit effroyable celui de mon regard carnivore mué à ses yeux

 

[heading style= »subheader »]La cuisson longue[/heading]

Je me suis réveillé gris dans la chambre froide écrasé en un coin et entre ces barils de bière j’étais indissociable de leur aspect comme de leur contenu frigorifié je suis sorti pour me préparer un café mais j’étais pris puisque ma tête se tenait dans une pinte et que mon quart était commencé puis désireux de vouloir en finir j’ai parti la cuisson mais j’en avais pour six heures alors j’ai débuté le décompte à la première j’étais envieux du calme que ressentent les morts je baignais dans mes sueurs froides et je fixais la clientèle d’un œil livide j’étais improprement sinistre à la deuxième j’étais tiède mes jus reprenaient de ma chaleur mais j’étais encore blanchi par mon Amérique mes cernes noirs se disputaient la chair aux corbeaux et ma nuque brûlée par le four craquait comme la peau de mes mains à la troisième j’avais la tête qui sortait de mon cercueil mes joues reprenaient les couleurs de mon enfance mais j’étais mort-né mes yeux bleus s’assombrissaient mes boucles n’étaient plus il n’y avait que ma calvitie et les restes de mon champ d’espérance avalés par les nuées du temps carnassier à la quatrième mon visage pourpre était ma résurrection mais je renaissais aux portes de l’enfer j’en crevais de chaleur et j’étais plat comme si je m’étais repassé le corps sauf pour mon nez massif qui s’était transformé en cerbère et me forçait au travail mes narines sauvages grognaient et montraient leurs crocs à tout intrus qui osait s’approcher à la cinquième j’étais monstrueux et transpercé de flammes mon cou n’arrivait plus à soutenir le poids pachydermique de ma tête seulement j’étais sans défense et je ne trompais pas au même endroit ma peau éléphantesque était marquée et battue par le labeur j’avais un épiderme de cimetière enfin la sixième la dernière c’était mon testament j’étais cuit dégrisé et atteint d’une mollesse à m’en détacher le corps des os je suis donc retourné dans mon tombeau de levure parmi les barils pour y étourdir mes supplices