Après notre arrêt chez St-Viateur, je ne pense qu’au sac de bagels frais assis entre mon père et moi tel un invité dérangeant.

Je m’enivre d’un Seven Up diète qui me gèle des dents jusqu’au cerveau. Je frissonne, m’empare du sac de papier kraft dont la chaleur détend instantanément mes mains. Il a le poids réconfortant d’un petit animal. Mon père lorgne dans ma direction avec un sourire se voulant indiscernable. Je sais qu’il espère la plongée miraculeuse de ma main au cœur des miches odorantes.

Sans doute enthousiasmé par mon initiative, mon père vire à droite et entame la route en pente douce s’enfonçant sous les arbres.

– Allons voir le coucher de soleil.

Il se stationne au belvédère Camillien-Houde bondé en ce lundi de fin mai. Je distingue Longueuil, la minuscule flèche de Saint-Antoine de Padoue, près de chez nous. Un instant, j’oublie ce qui nous a fait traverser à Montréal, aujourd’hui comme les quatre derniers lundis. J’oublie ma peau froide souffrant de l’oubli de ma veste. J’oublie mes indécisions, mes évitements. Je suis une observatrice quelconque, avalée par le soleil incendiant le dentelé des montagnes montérégiennes. Ma contemplation m’unit à la masse condensée de touristes et de citadin.es disparaissant dans l’embrasement final.

Mon père et moi regagnons silencieusement la voiture, où le sac attend sagement sur mon siège. Je pourrais en prendre une bouchée, juste assez pour avoir encore le goût sur la langue de l’autre côté du pont. Les contours de mon corps me reviennent lorsque je m’assois, et la vision de mes cuisses écrasées enclenche le décompte dans mon esprit.

Je dépose le sac sur le banc arrière, le banc des accusés.

Je m’efforce d’oublier sa présence et m’efforce encore davantage d’ignorer la déception ordinaire abattant les épaules de mon père.