Il y a ceux qui planifient (il faudra avoir terminé les études, décrocher un bon emploi, être propriétaire, gagner un certain salaire), ceux qui y voient le rôle de leur vie (j’étais rien avant), ceux qui tentent le tout pour le tout (ça va nous rapprocher), ceux qui font tristement avec les accidents, puis, il y a mes préférés, les amoureux fous, ceux qui ne réfléchissent pas, qui se veulent tellement qu’ils se dévorent et qui sautent pieds joints dans l’aventure, magnifiques et confiants, peu importe les circonstances. Si j’avais voulu un enfant, c’est à cette dernière catégorie que j’aurais souhaité appartenir.

*

J’allume la lampe de chevet et une lumière tamisée se reflète sur les murs bulle de champagne de ma chambre, un rose pâle choisi à cause de mon amour de cette région. Les fenêtres sont ouvertes. J’entends les cris de la foule à la partie de baseball, au stade municipal. Je n’ai pas envie de faire l’amour. Je le fais quand même. Je me sens dégueulasse, mais je préfère encore me blesser, plutôt que de blesser une autre personne. Et je me déteste encore plus pour ça.

F me dit qu’il n’aime pas porter de condom. Je m’engourdis, je laisse faire. Je le laisse faire. Ce n’est pas de la passion. Si j’avais perdu la tête, que je brûlais de l’intérieur, que le désir me faisait oublier mon nom et où je suis, s’il était l’homme que je n’arrive pas à oublier, celui qui vit en secret sous mes paupières, les risques, je les assumerais tous. Là, je suis une poupée de chiffon qui manque cruellement d’amour d’elle-même.

Je hurle en silence, que ça s’arrête, que je trouve la force de mettre un terme à ça. Pour lui, pour moi. C’est toujours moi en deuxième. Ne pas blesser, ne pas faire de peine à l’autre, endurer, encaisser. Je fais comme il faut, j’encourage un peu, respire et soupire. En un clin d’œil, je me retrouve à quatre pattes, il est derrière moi et il me prend brutalement. Tout va très vite et au bout d’un moment, je réalise que c’est terminé.

F et moi nous connaissons depuis un mois. Nous nous fréquentons, quoi que cette expression vide veuille dire. Comme bien du monde, dans l’absolu, je veux aimer et être aimée, mais à ce moment précis, je vis bien toute seule, avec ma sœur et nos chats. Une partie de moi se raconte des histoires, imagine que l’amour se force, alors qu’une autre sait de façon très lucide que ça ne se commande pas. Ça arrive ou non. J’ai pas encore assez appris de mes histoires passées, de mes déceptions, et je ne réalise pas que moi aussi, je peux blesser. Alors je continue de voir F.

Lui dire que nous deux ça ne marchera pas, que je ne veux personne dans ma vie, que mon cœur est habité par le passage éclair de quelqu’un d’autre, que je ne sais pas où j’en suis. Être juste honnête, criss. Pas un mot ne sort. À la place de la voix qui me hurle de prendre mon courage à deux mains et de rompre tout de suite, j’invente une autre voix (qui ressemble vaguement à celle de ma mère). Elle me dit : donne-lui une chance, on ne sait pas, c’est peut-être l’homme de ta vie. J’ai regardé trop de comédies romantiques hollywoodiennes, mes idées sont déformées.

Il est tard, il fait chaud, je veux juste être seule. La version idéale de moi dirait à F de rentrer chez lui. La version idéale de moi lirait un roman jusqu’à ce que ses yeux ferment tout seuls, irait fumer une cigarette sur la galerie en regardant briller la haute-ville au loin, écrirait un courriel à un être cher ; mais je suis tellement loin de cette femme-là. C’est ce soir-là que je suis tombée enceinte, à des kilomètres de ma version idéale et de ma catégorie de parents préférés.