Revenir d’exil

Comporte des risques

Comme rentrer une aiguille

Dans un vieux disque

— Richard Desjardins

 

Ça sent le gaz de quatre-roues pis de chainsaw, encore. L’odeur reste comme les cicatrices d’un temps mort et oublié. Avec elle montent des envies de la même nature. Le goût de poigner le Big Bear rouillé pis de foncer dans les trails presque impraticables, à travers les champs du père. Jusqu’à me perdre. Disparaitre dans l’immensité des terres. Le goût d’entendre le moteur pétiller, la pipe lâcher des backfires impossibles, bruits irrespectueux face au silence des épinettes. Mais c’est pas moé ça. Me semble ça fait longtemps que c’est pus moé. Y’a du monde pis des obligations qui m’attendent, un chauffeur dans une belle auto propre pour me mener à des gens qui vont s’extasier de ma réussite… You bet ! J’ai rien réussi. Pas icitte. Icitte, j’ai 11 ans. Encore. Pis tant qu’à être là, pourquoi pas ?

Dans le fouillis de clés, ma main m’apparait petite, frêle. Ma main aussi a 11 ans, elle l’aura toujours un peu. Y faudrait une grosse pour la serrer. Les doigts cornus pis musclés du père en étau autour des miens, fragiles. Me rappeler deux secondes que je suis faible et fait pour le rester, dans ce jeu de force, seul moyen pour le père d’exprimer de l’affection. Enweille, serre aussi fort que tu peux, aussi fort que tu m’aimes, quitte à pas me le dire. Oh ! On m’a pas assez dit je t’aime. Wow ! C’est d’un triste commun. Fuck ça, fuck moé. Mais j’ai le droit. Je suis de retour à un âge où on comprend pas pourquoi on dit ou non je t’aime.

Est encore là. La même clé. À quoi je m’attendais ? C’est la même clé, à même place, dans même maison, elle start le même quatre-roues qui va rouler su’les mêmes chemins qui traversent la même forêt. Pis entre les arbres, je vais surement entendre les meuglements d’une vache qui agonise. La même.

Une des osties de vaches qui fuyaient tout le temps. Le troupeau installé su’le button de la vieille grange. La grange à Fabrice. On l’appelait encore comme ça, même si Fabrice était mort une bonne dizaine d’années avant ma naissance. Je sais pas si on avait changé la broche électrique depuis, mais, chose certaine, elle valait pas de la marde. Une chance y’avait Éric pis ses propositions absurdes. Ce dude ! D’une intelligence effrayante ou, comme on préférait dire dans le boutte : fucking freak. C’était le seul employé de notre entreprise familiale qui faisait pas partie de la famille. Son salaire allait dans les moteurs pis dans les livres. Jamais connu personne qui pouvait te parler aussi longtemps de F150 que de Dostoïevski. Y’avait pris su’ses épaules imposantes le projet de garder une fois pour toutes le bétail à ras la grange. Envouté par sa personnalité, je l’aidais à patenter ses systèmes. On a creusé un ruisseau, étiré le pâturage jusqu’au ravin en bas de la cour des Poulin, créé un fil barbelé électrique, installé un de nos chiens à côté pour faire peur au troupeau. Malgré les efforts, y’avait toujours une bonne fois dans la saison où les vaches traversaient la limite qu’on leur imposait. À partir de là, y criaient liberté !

Comme moé.

Plus. Plus de vent qui frappe ma face. Pas de casque. Au yable le casque. Qu’essé ça, un casque ? Le quatre-roues bardasse dans tous les sens tellement y’a de trous de bouette. Par chance, ma monture tient la route. Même que, de plus en plus, en vrai Beauceron, elle la tchen. Les roues s’enlisent presque, sans jamais abandonner. Ça brasse, ça revole, me couvre de saleté jusqu’au cou. Je vais être dégueulasse, mais je m’en sacre. Su’un quatre-roues, on peut rien t’imposer. J’habite ce monde d’ados de campagne, m’active à brûler du gaz, des kilomètres pis du temps. Ma jeunesse me revient avec l’écho du choc des pneus su’les racines. On passait nos journées à faire des niaiseries au pit de roche derrière Construction BL, à répéter des allers-retours inutiles entre le village pis nos maisons éloignées du reste du monde, à rejoindre nos coins de paradis, des rivières perdues ou le shack des cousins plus vieux, à fuir les beus par les trails. Surtout fuir les beus. William, le seul enfant de mes seuls voisins, a fêté ses 15 ans en drivant ben saoul son 450. Y’avait une main su’le volant pis l’autre levé en fuck you contre la po-po à ses trousses. Une poursuite légendaire couverte par les médias locaux. C’était mon idole.

À l’opposé de la folie libératoire, le quatre-roues, c’était aussi la porte vers l’âge adulte, la job. Un grand mot. On a pas de jobs à 11 ans, on a des jobines. Le père demandait de transporter des affaires de la ferme au garage, d’aller chercher un voyage de bois chez mononcle Carl, de vider un trailer plein de cossins à dump, de poursuivre les vaches en fuite.

V’là justement la trail sinueuse vers la cabane à Pierre, la trail de cet automne-là…

— Voyons tabarnak, sont rendues à cabane à Pierre!

C’est ça qui avait lâché, le père, en raccrochant le téléphone. Nous, on revenait à maison, essoufflés, puant que l’criss, notre linge détrempé par la sueur pis la marde. On avait couru dans les champs fraîchement épandus pour récupérer une partie du troupeau. J’apprenais que l’autre moitié étirait son instant de liberté. Que’que chose en moé trouvait ça beau, voulait plaider pour l’affranchissement de nos animaux. Mais si y’a ben une chose que j’avais déjà apprise à l’époque, c’était de fermer ma yeule. On a embarqué en famille su’le Big Bear ; le père, les trois sœurs pis moé. On s’élançait après le bétail comme les beus après William.

C’est weird d’être de retour sur ce banc, le banc du poursuivant, après l’avoir fui tant d’années. Je sais pus si j’ai envie d’avoir 11 ans. Ma vie est ailleurs. Je devrais pas conduire des quatre-roues, j’aurais jamais dû. Je suis né étranger su’un siège de Big Bear. Mais maintenant, j’ai trouvé ma vraie nature, du moins, je croyais. Qu’est-ce que je fais dans mes vieilles bottines, à les beurrer de bouette ? Qu’est-ce que je fais à arpenter des chemins trop connus, quittés y’a trop longtemps ? C’est comme un appel. Un besoin d’espace perdu pour me mouvoir à l’infini dans le vide, un endroit où y’a aucune différence entre fuir et poursuivre. J’ai aucun pouvoir contre ces terres qui m’ont forgé, je décide pas de mon âge, elles le décident.

À sortie du chemin de cabane, une trail coupe vers le village. Un paysage d’éternel retour. C’est l’autoroute de mon adolescence, la trans-Beauce. Elle mène au bar des routiers alternatifs, le relais des tout-terrain l’été, des motoneigistes l’hiver. Entre la Coors pis la poudre, on y découvre vite une réalité de pauvreté, de shop, un monde dans ta face comme une claque. J’arrêterai pas de peur d’y voir un ancien ami qui aurait collé là, de l’entendre s’exclamer :

— Ah ben! T’es de retour… J’pensais pus t’voir ailleurs qu’à télé !

Pis qui me raconte ses journées au moulin, où y travaille depuis sa cinquième année. Je l’imagine me dire qui s’y scrappe le dos, mais bon, ça y permet de payer les cours de patinage pour sa petite pis le tuteur pour son plus grand qui rushe dans les programmes spéciaux d’un système scolaire inadapté. Y cracherait sûrement au visage de ce système-là longtemps…

— Ostie de gang de trous d’cul d’marde. C’t’un bon petit gars, Tommy, mais là, tabarnak, sont en train d’en faire un bum. Moé aussi je serais allé fumer des battes dans l’bois si on m’aurait enseigné des niaiseries de même ! Tu devrais l’voir démonter un moteur ! Y’a-tu vraiment besoin de savoir accorder ses participes passés ? Criss, c’pas là-dedans qui est bon !

Lui qui lâche sa haine pis moé qui, malheureusement, la comprends. Y finirait probablement par me proposer une ligne de son side-line, de petite neige, t’sais, ça coûte cher, un nouveau ski-doo.

Non, je veux pas ça, me rappeler que je suis lui autant qu’y est moi, qu’on a partagé notre enfance dans ce monde qui existe toujours malgré ma volonté de l’effacer. Je veux rester la vache séparée du troupeau, celle ignorante de sa condition.

On avait récupéré toutes les autres, encerclées par une longue corde, elles nous suivaient jusqu’à la cabane à Pierre où les attendait le gros trailer pour les ramener au bercail. Après une brèche vers la vie sauvage, elles se résignaient à leur état de pauvres produits, d’outils de l’humain. Sauf elle. C’était une taure, une ado. Elle fuyait toujours, chutait après quelques enjambées, mais se relevait, pis fonçait, pis chutait encore. Elle s’est jetée dans ma direction. Cynthia, ma plus vieille sœur, a crié de quoi comme :

— Mets-toé d’vant !

— J’vas m’faire décrisser !

— Nenon, les vaches foncent pas su’le monde.

Vrai. Normalement, on a qu’à se placer devant pour les arrêter. Mais celle-là avait quitté sa nature, sa soumission à l’autorité. Une ado déphasée, du genre à entrer dans une école avec un gun pis mettre fin à sa souffrance par la souffrance. Sa tête s’est unie à mon ventre, m’a soulevé, projeté. Une roche a accueilli ma chute, mais la taure s’en est pas inquiété, a poursuivi ses occupations : tomber pis foncer. Pendant que la famille me prenait en charge, les yeux en larmes pis le coccyx défoncé, je la checkais s’engouffrer dans forêt… Admiratif.

Je veux pas la quitter, cette forêt. Fuck le clocher de l’église au loin, le village qui vient à moi plus que je viens à lui. Le même village. Dans la nature, on peut croire à un semblant de changement, les arbres ont le pouvoir d’être par milliers, inorganisés, d’offrir un nouveau lieu par la simple position du regard. Ici, l’humain a figé le temps, un échiquier sur lequel personne ose déplacer une pièce. Combien de mes amis vivent encore icitte ? Trop. Y traversent chaque jour cette rue séparant l’école primaire pis le cimetière sans se dire qu’y est absurde de commencer sa vie comme voisin de l’endroit où tu vas la finir.

Enfin. L’aréna. Le parking plein. La voiture du père est juste à côté d’la porte. Y’est arrivé d’avance… Y doit être fier. Quelle ironie ! Je remplis la place où je l’ai déçu jusqu’à la honte. Merci pour l’espoir, merci de m’avoir donné un nom d’hockeyeur, ça aura finalement eu une certaine résonnance, mais ce sera pas su’a glace ! Désolé p’pa. Mes patins accumulent la poussière d’une garde-robe depuis des siècles, depuis ma dernière partie, ma dernière déception.

Le moteur coupé, c’est le retour au silence pis à des milliers de choses, de réalités. Poser le pied au sol me demande un effort surdimensionné. Le spectacle commence dans combien de temps ? Si je me fie à face de mon agent, c’est bientôt…

— Qu’est-ce que tu criss en quatre-roues ? Voyons ! T’es sale pas de bon sens…

Sorry Marc, j’avais un rendez-vous. Ça sert à rien d’y expliquer. Autant profiter des quelques minutes de prise en charge par mon équipe pour terminer ma date avec le passé.

Malgré ma douleur au cul, j’allais relativement bien. Après s’être occupé du troupeau, on avait retrouvé la taure plus loin dans forêt. En chutant, son tibia s’était fracturé pis avait déchiré sa peau, son propre corps s’était transformé en couteau contre elle-même. Ses meuglements me donnaient des frissons insupportables, j’ai pensé aux histoires d’étables qui brûlent, aux dizaines de vaches mourant ensemble dans les flammes. Vu l’effet des gémissements d’une seule, j’osais pas imaginer la mort d’un troupeau. J’aurais aimé meugler avec elle, partager sa douleur. Y’a tellement d’affaires que j’aurais aimé, mais pas ça. Pas la voix du père :

— Cynthia, va chercher la 22.

Abréger la souffrance fait office de loi dans c’t’univers-là. Si les chances de survivre de l’animal sont faibles, vaut mieux en finir au plus vite. Mon chien était tombé sous une balle de la même 22 que’ques semaines avant. C’est le père qui s’en était chargé. Je lui avais demandé pourquoi on allait pas chez le vet, y m’a dit que c’était cher pis inutile.

Ma sœur est revenue avec le gun, l’a pointé su’a taure. Y’avait de quoi d’électrisant dans l’instant entre son mouvement pis la détonation. Nos yeux qui fixent la vache. La vache qui arrête de meugler. Le fusil ben drette. Les yeux de la vache. Les doigts du père, cornus pis musclés, qui viennent serrer les miens, viennent serrer ma petite main frêle. Ses doigts qui se referment en étau au son du coup de feu. Pour me dire je t’aime… Je crois.

C’est une autre main que j’utilise pour prendre le mic. Ma main d’adulte, de vedette habillée propre, de gars qui préfère les caméras aux moteurs. L’aréna est plein. Les gens arrêtent progressivement d’applaudir.

— Merci ! J’suis sincèrement content de commencer ma nouvelle tournée dans mon patelin… Bon, j’vais sentir le fumier pendant trois semaines, mais c’était à moi de mieux choisir mes dates !

Un bon rire. Nice. C’est le temps d’être drôle pour vrai. De sortir mes killers.