Solstice d’été, basse-ville de Québec.
Ce doit être le matin. Fred s’est aperçu que je ne dormais plus et il est venu poser son menton sur le coin de mon lit, près de l’oreiller. Il entend le changement de rythme dans ma respiration, peut-être. Il est si grand qu’il n’a même pas à s’étirer. Il peut rester debout et plonger son regard dans le mien. Ses beaux yeux noirs, profonds comme s’il avait eu mille vies, me disent qu’il m’attend pour aller marcher. J’étire le bras et j’écarte le rideau pour voir le temps qu’il fait. Il pleut à peine. Le printemps résiste encore un peu. Sur le trottoir, les sandales et les shorts côtoient les manteaux longs et les bottes de caoutchouc. Entre les deux saisons qui se chevauchent, je choisis l’été. J’enfile une longue robe t-shirt dans laquelle je frissonnerai sans doute tout à l’heure, mais qu’importe. J’attrape mon sac, mes clés, mes lunettes de soleil et le harnais de Fred.
De nouvelles affiches sont apparues sur les poteaux électriques et les lampadaires, depuis hier. On cherche un chat noir et blanc qui s’appelle Georgina, perdue lors d’un déménagement. J’essaie de mémoriser la photo, la tache blanche irrégulière sur son visage qui ressemble à la carte de l’Italie. Les yeux jaune foncé. Je me demande si elle est vraiment perdue, ou partie à l’aventure.
Le ciel s’assombrit petit à petit alors que nous marchons. Les nuages sont découpés nettement, comme dans ces peintures de la Renaissance dans lesquelles on a l’impression qu’il fait jour et nuit en même temps. Je laisse Fred choisir l’itinéraire de la marche. Nous nous retrouvons sur Saint-Vallier, quelques dizaines de pas derrière un couple qui attire mon attention. C’est la main de l’homme sur la nuque de la femme, peut-être. Une certaine raideur dans la démarche de la femme. Ils ne parlent pas. Je les observe un moment, de dos, en gardant mes distances. J’essaie de me convaincre que je m’inquiète pour rien. C’est sans doute le cas. Cette grande main encerclant la nuque à demi, ce pourrait être une caresse.
Nous apercevons un chat noir et blanc à notre retour de promenade, qui se glisse sous une voiture stationnée au coin des rues Kirouac et Saint-Sauveur. Je n’arrive pas à voir son visage. Nous nous éloignons un peu, pour ne pas l’effrayer. Je m’accroupis, tends la main. J’appelle doucement Georgina. Nous attendons, mais le chat ne bouge pas, et la pluie se décide à tomber pour de bon. Nous reviendrons. Georgina saura bien se débrouiller toute seule. Avant de me relever, je lance une dernière invitation au chat. J’habite juste là. Je vais laisser la porte ouverte. J’aurais voulu le dire aussi à la femme, tout à l’heure.