Avant de savoir à qui réfèrent les noms de Gilles Vigneault et François Legault, j’apprends à nommer la spartine pectinée et à reconnaître l’élyme des sables. J’ai dix-huit ans. Je quitte mes parents et l’île de La Réunion pour m’échouer sur les berges du Saint-Laurent. La batture devient mon exil, mon nouveau repère. On me parle de cipaille et d’éperlan ; je réponds avec aisance salicorne et pluvier. Je me calibre sur l’horloge des marées, je m’adapte au rythme des glaciels. On me dit que le plantain soigne les plaies, qu’il calme les brûlures et apaise les poumons. J’acquiesce, c’est bien le sentiment qu’il m’avait inspiré au premier abord.

Assise au bord du quai, j’écoute la messe plaintive des mouettes fatiguées. Je laisse les embruns m’envelopper dans une dernière étreinte. J’ai trente ans. Je quitte le Bas-du-Fleuve pour m’éloigner d’un deuil aussi vieux que l’estuaire.

La mer s’étend au loin et ne dit rien de ce qu’elle sait

de nos désirs, de nos batailles, de nos épaves accumulées.

Mon ombre prend la forme d’un bois flotté, forgé par douze saisons de vagues et de grands vents. Condamnée à l’errance des déracinés, j’emporte dans mes failles quelques grains de sable et de phragmite, une espèce dite « exotique envahissante ».

À grand-peine, je me détourne de l’horizon auquel j’avais tout confié. J’aurais voulu me fondre dans l’eau trouble, m’enfoncer sous la vase, allumer un cierge entre les algues et rester là, harnachée au silence, à l’abri de tout.