[information]Ce texte a été écrit dans le cadre du cours Écriture pour enfants et adolescents, donné à l’Université Laval par Gabriel Marcoux-Chabot à l’automne 2014.[/information]

Je suis assise sur le bord du lit, avec ma sœur. Nous regardons les feux d’artifice en silence. J’entends les gens crier de joie dehors, mais juste derrière moi, mon père est en pleine crise d’angoisse, couché en boule, en sous-vêtements, les doigts recroquevillés, les ongles dans le matelas. Je vois ses os, il a perdu du poids rapidement. Il est tout crispé et il semble vraiment souffrir. Ma sœur et moi sommes impuissantes et ne pouvons pas vraiment l’aider. Il ne semble même pas être tout à fait là. Il ne parle pas, ne bouge pas.

Les infirmières nous ont appelées en pleine nuit et nous ont demandé de venir, pour essayer de le calmer. À notre arrivée, ma sœur et moi l’avons trouvé dans cet état de choc. Nous nous sommes dirigées vers lui et ma sœur lui a flatté le dos.

– On est là papa, lui ai-je dit.

Mon père m’a regardée une fraction de seconde, sans réaction, puis s’est arrêté sur ma sœur, les yeux pleins d’eau.

– Catherine. Je savais que je pouvais compter sur toi. Merci d’être là. Merci… a-t-il dit d’une voix étouffée.

Mon père ne m’a pas reconnu. Ça me fait tellement mal, mais ce n’est pas sa faute. Je suis vêtue d’une jaquette, d’un masque et de gants jaunes. C’est pour le protéger et aussi pour me protéger, moi. Ma maladie m’empêche même d’être près des gens que j’aime.

Je ne peux pas savoir ce qui s’est vraiment passé dans sa tête ce soir-là. Je suppose qu’il a pris conscience qu’il va vraiment mourir. Depuis le début, il croit qu’il va s’en sortir. Je n’ose pas lui dire que non, car j’ai peur de lui causer plus de souffrances encore. Si l’espoir l’aide, je me dis que c’est peut-être mieux comme ça et qu’il vivra plus longtemps. Pourtant, je me sens parfois coupable. Je me dis que je devrais l’aider à voir la réalité en face, l’aider à s’y résigner, afin qu’il puisse mourir sereinement. Il se peut que je meure, moi aussi, dans un hôpital, les lunettes d’oxygène au nez. En fait, si je ne meurs pas d’un accident de voiture ou de quelque chose d’autre d’imprévisible, je sais que je vais mourir de la fibrose kystique. Je vais mourir à cause de mes poumons, comme mon père, qui va mourir d’un cancer des poumons. Je comprends qu’il ait fait une crise de panique. La nuit, avant de m’endormir, j’angoisse aussi, car j’ai peur du temps qui passe et qui me rapproche peu à peu de la mort. Je n’ose pas imaginer comment je réagirais alors, si j’étais en phase terminale, comme mon père.

La mort m’effraie depuis que je suis toute petite. Je crains qu’il n’y ait rien après, qu’on s’éteigne totalement pour se perdre dans le néant. Je me doute que c’est dû à ma maladie. J’ai réalisé que j’étais vraiment malade et différente des autres enfants lorsque j’avais environ cinq ans. C’est à cette époque que j’ai dû commencer à faire des traitements quotidiens pour mes poumons et qu’un médecin m’a avoué que je ne dépasserais peut-être pas mes 18 ans. Je trouve ça bien qu’un médecin soit honnête, mais doit-il l’être avec une enfant? J’ai été des semaines à dire à mes amis que je n’atteindrais pas l’âge adulte. Ça m’a vraiment perturbée. Aujourd’hui, l’espérance de vie a augmenté, mes capacités pulmonaires sont relativement stables et je ne doute pas que je dépasserai largement la majorité. N’empêche, je suis quand même préoccupée. Les jours s’écoulent trop rapidement. Je voudrais pouvoir arrêter le temps pour profiter de mes derniers instants auprès de mon père. Je sens que nous sommes enfin devenus proches et je ne veux pas perdre cette nouvelle relation père-fille que nous avons développée. Nous commençons à avoir une belle complicité. J’aimerais vraiment l’aider à se sentir mieux et à accepter sa mort. Il me semble qu’avec mon vécu, je devrais être bien placée pour le soutenir. Pourtant, je ne sais pas quoi faire. Je pourrais lui acheter un livre qui traite de la mort, mais ça m’obligerait à confronter moi-même la réalité, s’il devait ensuite m’en parler. Je n’accepte pas ma maladie, alors comment le rassurer face à sa propre mort? J’avoue qu’au fond de moi, même si je sais que ça ne se peut pas, j’espère aussi qu’il va s’en sortir. Ça existe, les miracles, non? En même temps, il ne semble pas prêt à en parler alors je dois respecter cela. Il ne veut même pas aller en soins palliatifs et pourtant, il souffrirait beaucoup moins. Ça prouve qu’il n’est pas prêt à affronter sa mort. J’espère que moi, lorsque viendra ce jour, j’arriverai à l’accepter sereinement.

***

Je reçois un appel, au beau milieu de la nuit. C’est ma sœur.

–  Audrey, papa ne va pas bien. Ils viennent de m’appeler. Étienne et moi, on part de Montréal ce soir pour St-Georges et on s’en va direct au CHSLD.

Je panique. Pourquoi faut-il que ça arrive ce soir!? J’ai un rendez-vous important à l’hôpital demain, car ma santé ne va pas très bien ces temps-ci. Je suis à Québec en ce moment. Je dors chez une tante. Mon rendez-vous à l’hôpital est demain matin et nous voulions partir tôt pour éviter le trafic sur le pont et ainsi arriver à l’heure. J’en parle à ma mère. Je ne sais pas trop quoi faire. Elle me laisse prendre la décision. Je choisis d’aller au rendez-vous, car je sens que je vais peut-être avoir besoin d’antibiotiques intraveineux. Avec la fibrose kystique, ces traitements me sont souvent nécessaires lorsque mes capacités pulmonaires diminuent et que mes poumons s’infectent. Je toussais déjà intensément, mais avec l’angoisse, c’est encore pire. Je tousse tellement que le cœur me lève. Je passe proche de vomir à plusieurs reprises. Je termine finalement la nuit à dormir assise, sur un fauteuil. Ça calme ma toux, mais ça ne calme pas mon anxiété. Ça y est, il va vraiment mourir. Je n’arrive pas à le réaliser pleinement. La nuit entière, je prie ma grand-mère et lui demande de me permettre d’être là à temps demain.

Le rendez-vous à la clinique de fibrose kystique me semble le plus interminable de toute ma vie. Je suis bête avec tout le personnel médical. Ils sont au courant et sont compréhensifs avec moi. Je suis choquée contre la situation. La maladie vient toujours me tourmenter dans des moments importants de ma vie. Dès que le rendez-vous est terminé, nous repartons chez moi, à une heure trente de voiture. Je n’arrive pas à parler, je suis affolée. J’ai peur d’arriver trop tard. J’ai appelé ma sœur ce matin, mon père va bientôt mourir, mais les médecins ne peuvent pas nous dire combien de temps il lui reste. Comme si ce n’était pas assez, je vais bel et bien avoir des antibiotiques intraveineux, durant deux semaines. Le rendez-vous est fixé pour la pose du Picc-Line et le début du traitement. Ils vont me rappeler dans les prochains jours. C’est n’importe quoi! Au moins, ils m’ont permis de faire mes antibiotiques intraveineux à domicile, chez ma mère. J’ai l’habitude alors ça ne les inquiète pas trop.

Après le trajet qui me semble interminable, j’arrive enfin! Je franchis la porte du CHSLD en courant. Mon cœur bat tellement fort que je sens mon pouls dans chaque membre de mon corps. J’arrive dans la chambre de mon père, tout essoufflée. Mes oncles et tantes sont là, avec ma sœur et son copain. C’est donc vraiment vrai, c’est la fin. Je m’effondre et me mets à pleurer. Mon beau-frère Étienne me prend dans ses bras. Ma sœur est en pleurs de l’autre côté du lit. Elle s’approche de moi.

– Il est dans le coma. Il ne peut pas parler, mais il se peut qu’il nous entende. Nous allons te laisser du temps, pour lui parler seul à seul, me dit-elle.

Tout le monde quitte alors la chambre et me laisse là. Je regarde mon père, puis je m’assois sur la chaise à ses côtés. Je ne sais pas trop par quoi commencer. J’espère vraiment qu’il est conscient. Je lui prends la main.

– Papa, je ne sais pas si tu peux me comprendre. Je veux seulement te dire que je t’aime et que je te pardonne. Ça n’a pas toujours été facile entre nous, mais je garde de très beaux souvenirs avec toi. Je me souviens de nos « soirées camping » dans la roulote que tu avais construite, de nos balades en auto avec Pounky sur mes genoux, du sapin de Noël que nous faisions toujours ensemble, de la fois qu’on est allé au Zoo de Granby et qu’on a dormi chez ton frère, de quand on allait nourrir tes poules ensemble et jouer avec les poussins… Papa, tu as toujours cru aux esprits et à la vie après la mort. Si vraiment il y a quelque chose après, fais-moi un signe, n’importe quel signe, s’il te plaît. J’en ai besoin, papa. Je sais que tu vas trouver quelque chose que j’arriverai à comprendre, quelque chose que je ne pourrai pas mettre en doute. Je t’aime, papa.

Les heures passent et ceux qui n’en ont pas encore eu la chance lui font leurs adieux. Ma mère décide aussi d’aller lui parler en toute intimité dans la chambre. Elle ne lui a jamais vraiment rendu visite à son chevet avant ça. Ils se sont séparés lorsque j’avais cinq ans et elle n’était pas très à l’aise de venir.

Je suis maintenant avec ma sœur et une tante dans la chambre. Ma mère est retournée chez elle et les autres sont sortis prendre l’air un peu. Ma tante se lève alors de sa chaise.

–  Je vais aller rejoindre les autres un peu, je vous laisse entre vous.

Je suis contente de me retrouver seule avec ma sœur et mon père, mais je n’ai pas même le temps de prononcer un mot. Quelques instants après le départ de ma tante, mon père ouvre subitement les yeux et se met à bouger la tête. Je panique. Est-ce qu’il est réveillé? Une infirmière, qui était sans doute proche et que je n’avais pas vue, s’arrête dans le cadre de la porte.

–  C’est le moment. Il est prêt, nous dit-elle avant de nous laisser.

Mon père regarde vers la fenêtre ensoleillée, dans la direction opposée de Cath et de moi. Nous nous mettons devant la fenêtre pour le voir s’en aller. Ses yeux sont grand ouverts. Il bouge toujours la tête et semble chercher quelque chose, puis il nous aperçoit. Je n’arrive pas à savoir ce qu’il regarde vraiment. La fenêtre, ses deux filles, ou bien autre chose que lui seul est en mesure de voir? J’ose croire que ce n’est pas seulement la fenêtre. Nous lui tenons la main, ma sœur et moi. Son visage se crispe, il semble vouloir se retenir de partir. Ça me fait tellement mal de le voir comme ça.

Intérieurement, je lui dis : « Tu peux partir, papa. Je suis sûre que tes parents et ton frère sont là pour t’accueillir. Tu as assez souffert. Laisse-toi partir. Tu mérites d’aller vers un monde meilleur ».

En regardant toujours vers nous, ses lèvres se mettent à trembler et il se met à pleurer. Comment ça peut être possible, s’il est dans le coma? Nous entendons alors son cœur lâcher, vraiment. Comme si son cœur, avant de s’éteindre, avait produit son dernier battement, fort et puissant. Je panique, j’appuie sur la sonnette plusieurs fois. Je ne sais pourquoi je réagis comme ça, je sais bien qu’il est mort, que c’est fini. Je crois qu’au fond de moi, je ne veux pas le croire, je veux qu’on le sauve, qu’on le réanime. J’entends encore le son qui vient de surgir tout droit de sa poitrine. Je n’aurais jamais pensé que ça pouvait faire du bruit, un cœur qui cesse de battre. La mort, ce n’est pas comme dans les films, où les personnages ont le temps de faire leurs adieux, de dire enfin ce qu’ils ont toujours voulu dire. Non, la mort, c’est soudain, même quand on s’y attend. Je regarde ma montre, puis je vois l’heure. Mon père est décédé le 4 août, à 16 h 25. Il nous a quittés pour un monde inconnu, que je ne peux imaginer. Tout ce que je souhaite, c’est qu’il soit bien, là où il est maintenant, et qu’il ne souffre plus.

Après sa mort, je me sens complètement perdue. Tout me semble surréel. Pas irréel, mais vraiment surréel, parce que ça dépasse complètement la réalité, c’est au-dessus de tout ce que j’aurais pu imaginer. Je me sens déconnectée du monde. En rentrant, ma mère nous accueille, ma sœur et moi. Après m’avoir prise dans ses bras, elle me demande vers quelle heure mon père est décédé. Je lui dis l’heure exacte. Je vais m’en souvenir jusqu’à la fin de mes jours. Je lui demande pourquoi elle me pose cette question, puis elle me répond que nous avons manqué d’électricité, en après-midi. Elle a trouvé ça étrange sur le moment, mais ne se souvient plus vers quelle heure c’est arrivé. Je suis triste, j’avais l’espoir d’avoir enfin un signe, mais bon… J’oublie vite cette conversation, puis je fais du ménage dans ma chambre, toute la soirée. Ça me permet de penser à autre chose. Je me souviens que j’ai réagi de la même façon lorsque ma grand-mère est décédée. Plus tard, je n’en ai pas envie, mais il faut bien que je dorme. Je décide d’aller me coucher. Au moment de me mettre au lit, je remarque que mon cadran clignote. Je ne comprends pas trop, puis je m’avance. Je constate alors que nous avons effectivement eu une panne d’électricité, puisque l’heure affichée n’est pas la bonne. Mon cadran repart toujours à minuit lorsqu’il s’arrête. Je fais alors le calcul, le cadran s’est arrêté à 16 h 25 pile, à la minute près. Je lui ai demandé un signe, le voilà! Je me dis qu’il s’agit peut-être d’une coïncidence, mais un hasard pareil est-il vraiment possible? Je sors de ma chambre, il faut que je le dise à ma sœur et à ma mère. Je leur demande de venir voir mon cadran, puisque je veux être certaine que je n’hallucine pas. Ma mère est persuadée que c’est le signe que j’ai demandé et elle est contente pour moi. Ma sœur, elle, ne réagit pas trop. Elle a toujours été très rationnelle et ne croit pas vraiment au surnaturel. Tard dans la nuit, je m’endors enfin, le sourire aux lèvres, en remerciant mon père. Je me dis que c’est sa façon de me dire qu’il ne s’est pas évanoui dans le néant, qu’il est encore là, qu’il veille sur moi et qu’il va bien.

–  Merci, papa. T’es vraiment fort.

Je n’ai pas remis le cadran à l’heure, je vais le garder ainsi, à la mauvaise heure, aussi longtemps que possible. Je veux pouvoir me souvenir, voir que je n’ai pas rêvé.

Pendant toute la semaine, je prends souvent le temps de m’arrêter devant le cadran et de refaire le calcul. J’arrive toujours au même résultat.

***

Il y a maintenant deux mois que mon père est décédé. Je trouve ça vraiment dur. Je n’arrête pas de me rappeler de beaux moments passés avec lui. Je comprends à quel point il m’aimait, en réalité. J’aurais tellement voulu avoir plus de temps avec lui! J’essaie de me consoler, en me disant que nous nous sommes au moins rapprochés avant sa mort. Je n’étais pas prête à renouer, mais j’ai tellement bien fait. Je commençais juste à le connaître réellement. C’est l’alcool qui l’a changé. Si ce n’avait pas été de ça, j’aurais eu mon père, celui qu’il aurait dû être. Avec son cancer, il ne buvait plus, ce qui m’a permis de le voir tel qu’il était. J’aurais tellement voulu qu’il guérisse pour en profiter plus longtemps. En même temps, peut-être qu’au fond, même s’il s’en était sorti, il serait redevenu comme avant et aurait recommencé à boire… Je ne le saurai jamais. Lorsque j’étais plus jeune, il me disait qu’un jour, il achèterait une terre et aurait des chevaux. Nous aurions pu faire de l’équitation tous les deux. Il savait que j’aimais les chevaux, tout comme lui. J’ai d’ailleurs retrouvé un bibelot d’un cheval adulte avec son petit dans ses affaires. Je l’ai gardé, ça me fait penser à nous deux. Mon père a déjà eu un cheval lorsque j’étais petite. Il avait alors un chalet avec ma mère, dans la forêt. Je ne garde que très peu de souvenirs de cette époque, mais mon père m’en a beaucoup parlé. Il avait même construit une calèche à chevaux et une bâtisse qui ressemblait à un château. Je sais qu’il y organisait des soupers médiévaux. Avec la calèche, il faisait faire des tours aux gens, vêtu d’un costume d’époque. J’aurais adoré être assez vieille pour m’en souvenir, moi qui adore l’histoire et le fantastique. J’ai déjà vu sa calèche, elle est vraiment magnifique! Mon père était ébéniste amateur, mais il était très doué! En plus de la calèche, il a aussi construit plusieurs meubles de la maison, une belle petite roulote et un magnifique coffre qu’il m’a offert et que j’ai encore dans ma chambre. Il était passionné, minutieux et perfectionniste lorsqu’il fabriquait quelque chose. C’était un artiste et un rêveur dans l’âme. Je réalise que mon père et moi avions plus en commun que je l’aurais pensé. J’ai aussi un côté artistique; je rêve d’aller étudier en cinéma ou en littérature et je suis très perfectionniste. Je suis fière de l’avoir eu comme père. J’aurais seulement aimé le connaître plus. J’ai soudainement besoin de savoir qu’il est encore là et qu’il veille sur moi. En me couchant cette nuit, je lui demande un dernier signe. Je veux voir, entendre ou lire quelque chose en lien avec une licorne ou bien un hippocampe. Il aimait les chevaux, tout comme moi, mais je me dis qu’un cheval, c’est trop facile. Je pourrais croire que c’est un hasard, si j’en vois un. Ça me prend un signe évident. Puisque j’aime beaucoup les êtres fantastiques, une licorne, c’est parfait. Et un hippocampe, je trouve que ça dégage quelque chose de mystérieux, de magique… Un tout petit être qui vit dans les profondeurs de l’océan… On m’a déjà dit qu’il faut donner un délai lorsqu’on demande un signe.

–  Je te donne un mois, papa.

***

J’écoute un épisode d’Angel pour la millième fois. C’est ma série préférée, après Buffy contre les vampires. Un personnage important vient de mourir et je pleure encore, même si ça fait je ne sais combien de fois que je l’écoute. Soudainement, je vois quelque chose, quelque chose que je n’ai jamais vu avant. Je fige. Je recule l’épisode, puis j’appuie sur pause. Je n’en crois pas mes yeux. En arrière-plan, il y a un petit bibelot de licorne, posé sur un bureau. Le personnage qui le possède a toujours eu une fixation sur les licornes, c’est bien connu, et c’est évident que c’est un petit rappel pour nous faire rire. Pourtant, je ne l’avais jamais vu avant aujourd’hui et je remarque souvent les détails dans les séries. Je ne peux m’empêcher de penser que c’est le signe que j’ai demandé à mon père. Je sais que ça peut être une coïncidence, mais je trouve étrange de le remarquer seulement maintenant. C’est encore plus symbolique de le voir dans ma série télévisée préférée.

Une semaine plus tard, je rends visite à ma sœur à Montréal. Nous magasinons toute la journée, puis finissons par la librairie de l’UQÀM. J’adore fouiner dans les livres et ma sœur doit s’acheter un manuel pour ses cours à l’Université. Soudainement, un roman sur un présentoir attire mon attention. Il y a un petit hippocampe sur la couverture. Je n’en reviens pas, encore une fois. Quelle était la chance que ça arrive? Je m’approche, les mains tremblantes. La marche de Mina, de Yoko Ogawa. Jamais entendu parler. Je lis la quatrième de couverture.

« Après le décès de son père, alors que sa mère part suivre une formation professionnelle, la petite Tomoko, douze ans, va passer un an chez son oncle et sa tante. Tout dans la belle demeure familiale est singulièrement différent de chez elle : sa cousine Mina passe ses journées dans les livres et collectionne des boîtes d’allumettes illustrées qui lui inspirent des histoires minuscules; un hippopotame nain vit dans le jardin; l’oncle a des cheveux châtains, il dirige une usine d’eau minérale et sa mère se prénomme Rosa. » (Yoko Ogawa, 2008, 4e de couverture)

Interrompant ma lecture, ma sœur arrive derrière moi.

–  C’est bien drôle que tu regardes ce livre, me dit-elle.

–  Pourquoi? lui demandé-je.

–  Bien, j’ai failli te l’acheter la semaine dernière, mais je n’étais pas sûre que tu l’aimerais.

–  Comment ça, t’as failli me l’acheter? À cause de ce que ça raconte?

–  Eh non, parce que c’est un auteur japonais. Je sais que t’aimes tout ce qui est relié au Japon alors j’ai pensé à toi en le voyant. Paraît que c’est un bon auteur.

–  OK… Tu ne savais pas que ça parle d’une fille qui perd son père? Je viens de lire ça derrière…

–  Non! Je n’ai jamais lu derrière… Je suis désolée, Audrey… Une chance que je ne l’ai pas acheté, alors.

Je réfléchis. C’est vrai que ça peut être dur pour le moral de lire sur le sujet, mais c’est trop fou! Un hippocampe, un auteur japonais, ça raconte l’histoire d’une fille qui perd son père et c’est ma sœur qui a pensé à me l’offrir. Ma sœur, qui m’a toujours épaulée, qui m’a soutenue dans la maladie et le deuil de notre père. Elle ne sait rien au sujet de l’hippocampe. C’est clair que c’est un signe et ça fait moins d’un mois que j’ai fait la demande à mon père. Il me faut ce livre. Je sens que je dois le lire. D’autant plus que l’histoire est vraiment intrigante et dégage quelque chose d’envoûtant. Je décide de l’acheter.

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[heading style= »subheader »]Bibliographie[/heading]

OGAWA, Yoko, La marche de Mina, Paris, Actes Sud, collection « Babel », 2008.