Ce journal a été présenté dans le cadre du Labo in situ lors de la Nuit blanche d’Ottawa, le 22 septembre 2012.

Le journal poétique de Julien Dancause est  le fruit d’un travail quotidien d’écriture automatique. Les thèmes en sont nombreux, l’intérêt de cet exercice est d’explorer l’inconscient et d’en garder une trace.

« J’ai toujours pratiqué la littérature non comme un exercice intelligent mais comme une cure d’idiotie. Je m’y livre laborieusement, méthodiquement, quotidiennement, comme à une science d’ignorance ».  Valère Novarina

Tel un chrysalide, ce texte est en attente de métamorphose. La présentation publique de ce travail transforme le résultat premier et l’amène vers d’autres horizons, d’autres possibilités, ce qui nous envoie au cœur des interrogations sur l’acte créatif.

 

Journal, j’ai décidé de me rapprocher de toi pour extirper de ma mémoire mes pensées les plus folles et les plus interdites

Souvent, je retiens ces lubies passagères, cachées, ensevelies, dans ce Dr Jekyll, qu’est Julien Dancause la plupart du temps

Eh bien, ce journal sera le poison qui sortira des abymes, un moi sans censure, libre de dire ce que je suis

L’époque du mensonge est terminée, la vérité peut désormais sortir de moi, car la peur n’est plus de mise : la paresse n’est plus une ennemie et le jugement s’estompe…

 

Pourquoi m’être interdit si souvent de rêver, de ne plus écouter cette petite voix qui était là depuis le début, cette timide cantilène qui me murmurait bien des arcanes?

Pourquoi me défendre de noircir du papier?

N’est-ce pas un plaisir, que de parler véritablement à soi-même et d’en garder une trace?

La peur m’a envahi plusieurs fois ces derniers temps et j’ai souffert de voir incessamment son profil. Elle modulait une chanson d’aile de corbeau bigarrée de plomb qui m’a, à maintes reprises, fait perdre mon chemin, moi qui pourtant ne cherchais qu’une oasis afin de m’abreuver à la connaissance d’un anonyme. La diablesse en aura tari la source de diamants et déchaussé les pantoufles verticales du firmament de ma timidité absconse

 

Pourquoi cette nausée de l’inconnu?

Les grillons roucoulent, et je doute de moi en silence.

Je constate que je préfère faire des plans plutôt qu’écrire véritablement, je dialogue avec l’ambition au lieu de puiser au chant d’une méditation

 

Le théâtre peut me catharsiser à n’être pas si satisfait de moi

 

Ne plus regarder en arrière

Écrire, écrire, écrire

Sans penser, sans tricher

Écrire jusqu’à la fatigue

Parler secrètement puis devenir si verbeux que l’on en vient à baver sur la feuille jusqu’à n’avoir plus rien à dire

 

D’ailleurs, sais-tu que j’aime parler

Ma bouche est sensiblement une ogresse

 

Elle fait parfois dédaigneusement des grimaces, montrant sèchement ses lèvres obèses,  mais le plus souvent, elle est généreuse, tendre, suave, ronde, confortable

 

Je me divise alors en plusieurs formes : il y a Louis XIV, mais aussi le monstre

Le monstre est gros, gras, violent, voire brutal

 

Il est temps d’aller se coucher et de partir très loin dans les nébuleux rêves acariens

 

Je partirai alors, hors d’atteinte, afin de surprendre le dernier mot. Mais qu’elle sera ma dernière articulation de vie?

 

Un poète doit écrire comme s’il ne pouvait dire que ce lexème suprême

 

Je dirais : je t’aime, comme un appel embaumé de pierre

Le terme terminal est comme le premier

Un cri

Une encoche ouverte,

Une pensée qui explose

Le dernier mot, avoir le dernier mot

Zzz… : onomatopée notant un bruit continu qui vibre légèrement

Zythum : bière que les Égyptiens faisaient avec de l’orge germée

 

Mais le premier mot…

 

La poésie est née de cette parole primaire que l’homme dit un matin d’orge

Quand l’expression originelle de la beauté, de ce charme immuable, de cet instant où l’homme a crié l’art au-dessus des clairons de la forêt, cet instant de vie, celui du vocable primordial, songe bleu, orange, violet à l’inverse de ce qu’il écouta du mal initial des autres, la vipère

 

Le mendiant, qui a dû allumer sa cigarette avec son pied, est réapparu sous un sac de pommes de terre le long d’une allée de quilles en revenant d’une balade à Broadway

 

Pourquoi écrire si c’est pour dire n’importe quoi?

Eh bien parce que ça fait du bien, parce que c’est défoulant

Mais vous n’en avez pas marre d’importuner votre lecteur avec ce charabia?

Non, car le lecteur m’embête aussi

 

Arrête d’ordonner ma pensée

Laisse-moi m’amuser!

Renonce à retrouver tes mots,

Ton premier mot, ton dernier mot

Il est inutile de verbaliser

 

Respire, détends-toi

 

Noircis, bleuis le papier

Fais-toi plaisir, rien n’est mauvais

Rien n’est important

Exécute tes phrases les plus folles

Chien laid qui lance une pétarade de boitiers jaunis par la dentelle des maracas!

 

Si la nature est froide, aussi longtemps que mon duramen craque un verre vide, il me faudra partir vers elle pour trouver la raison

 

Si les phoques perdent le Nord, dis-leur que je suis là, pour chercher une aiguille dans l’œil d’un colibri

 

Ma médiocrité me fait peur

Mon échec, mon éternel sentiment d’être en retard

Dans la vie

 

D’avoir irrémédiablement échoué

D’une manière qui n’est récusable

D’être un éternel retardataire

 

Égoïste

Un dilettante magnifique

Prolixe d’idées fausses

De livres à demi lus

D’idées à demi comprises

 

De ne jamais aller au bout des choses

De rester en surface

 

J’ai peur de la lenteur

De ma lenteur

 

Je fais tout rapidement de peur d’être inintéressant

 

Galopant dans mes divagations, mes transfuges fuguèrent et je me demande où je vais assis sur ma chaise

 

Chopin joue soudain un murmure dansant et je me laisse posséder telle une vierge descendant les ondes eurythmiques d’un piano-forte pour se déposer sur le sol vide.

 

J’ai encore une entaille d’amour qui me tenaille le pneuma de mes entrailles et dont je ressens le lugubre voyage

 

Quel est mon mal?

Après tout, nous avons très peu d’amis communs

Socialement, nous ne nous voyons plus, ni au théâtre, ni au fond de la mer, ni nulle part

 

Mais pourquoi me manque-t-elle?

Est-ce de l’orgueil ou un sentiment plus profond?

 

En dépit de son manque d’épistémè et malgré ses formes rondes, sans égard à son air têtu et à son anti-intellectualisme

 

Son sourire me manque et me voilà devenu un naufragé de la cardioïde

 

Sa candeur qui envahissait mes journées, au seul fait de sa présence

Tout cela m’enchantait comme une fleur voyant une couleur

Ah quel sourire!

Et des yeux pétillants d’espièglerie et de luxure

 

Oui, je l’ai aimée

Au mépris de moi

Lentement, la passion me prit dans ses bras

 

Je me trouve désormais calculateur

Économe d’amour

Quelle horreur!

 

Cela passera, avec le temps…

Quelle horreur!

 

Ne plus souffrir, c’est mourir

On ne récupère pas d’un chagrin d’amour, on en demeure inespérément traumatisé

 

Je ne sais plus où elle habite désormais

J’ignore si elle a changé de numéro de téléphone

J’appréhende que je la revoie et je m’imagine alors la scène de nos retrouvailles, qui n’auront jamais lieu, nous racontant nos bonheurs respectifs

(en mentant évidemment)

 

Au fond, deux individus qui n’ont rien à se dire, sauf peut-être des méchancetés, qui, en somme, sont les preuves d’un amour latent de deux organes blessés aux prises d’une ardeur interdite à qui l’on doit de se refuser. Par honte, par orgueil, par idiotie :

 

— Es-tu comblée?

— Oui, toi?

— Oui.

— Bien.

— Es-tu plus heureuse maintenant, qu’avant?

— Oui, toi non?

— Tu as réussi à passer à autre chose.

— Oui, écoute, on n’était pas fait l’un pour l’autre…

 

Patati et patata

 

Vaut-il la peine d’entendre ça de vive voix?

 

Non, je ne suis pas passé à autre chose

Pourquoi, parce que j’ai aimé

Parce que je t’aime toujours

Parce que…

Tu ne mérites pas d’entendre ces mots

Enfin…

 

Je suis misérable. Bravo, tu as gagné

Tu as toujours gagné

 

J’ai hâte de ne plus t’en vouloir, de ne plus me sentir responsable de notre échec

 

De ne plus voir notre amour comme une époque bénie de ma vie

 

Un âge d’or

Premier amour, premier appart

De ne plus pleurer sur les baisers qui ont détruit ma peau

Un jour…

 

Peut-être qu’alors ce jour-là, on ira boire un café

 

Quand je pourrai te voir comme un passage, une passade, une passante

Durant la passation de ma passion

Passez! Sinon pas de Sion possible

 

S’il y a une mère étendue par le feu gourmand de ma chambre, j’aimerais m’y reposer une nuit. J’aspire à découvrir l’onyx et l’onirique dans la voix de mort qui surplombe ma terre, au lieu d’engloutir le vil dépôt de ma vantardise notoire sur une écume mal dégrossie

 

Je refais cent pas en arrière sur mon cul aigri, car je me déhanche les reins à force de penser. J’écris sur l’onyx, et l’onirique me vient par les petits poids…

 

Alors le robot!

Qui dévie en un archipel de plastique où d’alambics victoires mugissent des plaques peureuses.

L’encens des progrès futurs court vers un no man’s land dont je ne crois pas que je survivrai

 

Les cariatides me déplaisent lorsqu’infiltrées de mercure, elles percent les larmes violettes de machinations stériles où la grande solitude s’isole au milieu de cadavres d’avortons.

 

Il ne reste plus alors, qu’un soldat exterminateur de vermine qui ne suit pas son évolution et duquel les années s’espacent puis iront dormir sous un soleil bleu cybernétique durant une journée pluvieuse

 

Alors, le dos en sueur à force de marcher si rapidement pour échapper aux gouttes d’eau qui se déversent sur le tablier rustique des enclumes de persil, je vociférai mon âme jusqu’à en sentir l’ail, pour tâcher de réparer mes pieds rougis par le cuir d’un téton

 

Je cherche le chien d’eau où la rue me dira si je peux suffisamment mentir entre un moine et un policier rose

 

Pour une femme…

 

Pour coller son dos contre le mur, pour m’enivrer de suspicions discrètes où mes sens trahissent la rage sauvage des croassements exigus qui relèvent de mes fonctions décadentes

 

Si autrefois un homme se nourrissait de vers, alors aimer aurait été une action rare pour les fourmis arracheuses de pluie

 

Explosion du cerveau qui tente chaque fois de tout rationaliser :

Cri, bois, pète, mais ne pense pas qu’il faut violenter cette cavité croissante qui mange la liberté provisoire de la défécation lunaire et contre-indiquée

 

Un chat quant à lui refuserait, étant reporté au pouvoir de si puissants analphabètes snobs, d’aller suer ainsi à s’en dévisser le nombril

 

Est-il insidieux qu’une diarrhée puisse soupeser les interrogations de notre état conscient vaniteux qui est pourchassé par les plombiers volants vers l’arc-en-ciel brun des logorrhées infernales que méthodiquement la démence nous a obligés à ne plus endurer

 

Madame la feuille et monsieur le crayon : Allez, parlez-moi! Madame la feuille, pourquoi restez-vous muette? Pourquoi tant d’impolitesse? Sale garce! Parle avant que je ne te batte jusqu’au sang

 

Orgueil! Élixir de mort déjanté dont mes veines prétentieuses ont macéré les asticots rongeurs de sens qui ont galvaudé mon prisme impatient

 

Mal au plus profond des os qui malgré la saine toxine, je continue malheureusement la chute sépulcrale dans un fracas bestial qui ne détruit rien