Ce texte a été écrit dans le cadre de Huis clos à ciel ouvert tenu au Musée national des beaux-arts du Québec le 4 avril 2014, pendant la Nuit de la création, et ce, sous les contraintes imposées lors de la deuxième période d’écriture de ce projet à laquelle se sont livrées trois duos d’artistes.

Au parvis de l’église Saint-Roch, un hurluberlu se prend pour un prophète.

Un homme se prosterne devant le parvis de l’église. Il psalmodie des mots inaudibles.

DAVID: Qu’est-ce que vous faites ici, vous, mademoiselle?

JUNE (avec un accent anglophone) : Oh! Je juste passais. Et toi?

DAVID : Je suis venu prier. Mais bon, je me suis arrêté en chemin pour écouter c’t’hurluberlu-là.

JUNE : Est-ce que tu comprends? Moi, je comprends juste deux mots : dieu pis terre… ah pis meurs aussi?

DAVID : Dieu et la Terre meurent. Tout’ meurt. C’est un peu ça, le message, je crois? Il veut dire que c’est la Fin. Moi, j’y cré pas.

JUNE : Toi, tu le crées pas? Moi non plus, j’invente pas une fin. La fin va venir toute seule.

DAVID : Je l’sais ben. J’t’un poète, moé. Un vrai de vrai, mademoiselle. J’m’appelle David.

JUNE : Oh! j’aime que tu m’appelles mademoiselle. Je pense, je suis à Paris…

Une étrange maladie touche près du tiers de la population qui ne contrôle plus ses glandes sudoripares.

JUNE : Oh! J’ai chaud. (gênée) Peut-être je suis en train de tomber…

Une odeur âcre monte des abîmes cachés de la femme.

DAVID : Mais on est peut-être vraiment à Paris! On se croirait sur la Seine, au crépuscule, avec les fraîches odeurs naturelles de la fin du jour.

JUNE : Oui, ou bien on est dans le métro rempli de personnes. David, tu connais bien Paris? Dis-moi un poème.

David fouille dans ses poches. Il en retire deux napkins du McDonald. 

DAVID : Non, non, c’est pas ça. Attends.

Il fouille encore. Il sort un emballage de Junior au poulet. 

DAVID : Extra-sauce, oui, c’est lui…

Il se râcle la gorge, secoue ses pellicules.

DAVID : Dans les vertes forêts

S’écrie le geai…

JUNE : Le jet? Comme dans le jet privé, l’avion là? C’est beau, cette métaphore-là! Le jet crie!

DAVID : Le jet, oui, peut-être. Comme celui que j’aimerais prendre pour remonter dans mon Grand Nord frette. Là où on sue pas comme des osties de porcs… Je parle pas de toé, hein!

JUNE : Oh! j’espère, parce que je suis pas un port. Je viens du West Island. Pas de bateaux là. Tu aimes les transports hein? Viens donc.

L’homme qui psalmodiait, genoux râpés par terre, se relève. Il rentre dans l’église. Silence sur le parvis.

DAVID : J’ai mon pick-up. T’embarques-tu?

JUNE : Oui. Je veux. On va où?

DAVID : On retourne chez nous. Au Saguenay. J’te dis que ça sent pas bon icitte… Faut sacrer notre camp, j’te jure! Ça va mal finir.

JUNE : Je sais pas si ça va mal finir, mais je pense ça va finir dans tes br… dans tes camions. Go, dear David. Je sue beaucoup, là.

DAVID : Non, non, c’est pas toi, inquiète-toi pas. C’est l’exhaust de mon char qui est percé.

David démarre le pick-up. Il part à toute vitesse. À travers les vitraux de l’église, il aperçoit l’hurluberlu éberlué, le crackpot des bondieuseries. Il rit, en regardant Dieu.

JUNE : Vite, je suis un peu peur de lui là. Avec toi je sens confortable.

Une bande d’étudiants manifestent « activement » pour légaliser la marijuana.

JUNE : Oh. Attention David, break, il y a des étudiants qui manifestent dans le rue.

DAVID : O.K., O.K. Ça va, je brake. Pis, en passant, tu sens pas confortable, tu sens stressée.

Des jeunes gens, aux yeux rouges comme des diables, le sourire fendu gelé dans la face, dansent et jouent du tam-tam.

JUNE : Je sens stressée? Ouais, là, les étudiants s’approchent de nous pis je suis un petit peu peur.

Un étudiant avance dangereusement. Il brandit sa pancarte et menace de l’abattre sur le pare-brise. Un autre cogne à la fenêtre de David comme pour lui parler. David écoute le gars, mais ne comprend rien. Il parle juste le saguenéen.

DAVID : Scuse-moi, « dude », comme vous dites par icitte. Mais moé, j’en fume pas, de l’herbe. Tout ce que je prends, c’est du gaz pis c’est ben légal.

David accélère pour fuir les émanations toxiques. Un autre groupe entoure le véhicule, un peu plus loin. Deux étudiants entrent dans le Jeep par les portières d’en arrière, évidemment pas barrées.

JUNE : Hiiiiiiiii! Qu’est-ce que… quessé que… que ce que vous voulez?

DAVID : Heille ! Vous pilez sur mes poèmes-là ! Les papiers de McDo, là, là, ben oui, gros épais!

JUNE : David, je pense, ils veulent qu’on amène les quelque part. (tout bas) Je pense, ils ont les armes.

DAVID : Des armes, des armes… On en a aussi, tu t’es pas sentie!

JUNE : Je vois pas de quoi tu parles. Pis je veux pas qu’on se chicane déjà, on est même pas un coup…

Au loin se dessine le champignon d’une bombe nucléaire : le souffle rejoindra la ville dans les prochaines secondes.

JUNE : Oooh! Fuck David, let’s go!!!

David accélère, la pédale dans le tapis.

DAVID : Vite, embrasse-moi. Vite, vite! J’ai jamais été autant en chaleur. Pis j’te dis, même ma sueur goûte le métal.

JUNE : Oh! c’est beau ce que tu dis David! Je pleure… et mes larmes goûtent le métal aussi!

Elle l’embrasse goulument, tout en sueur et en salive.

DAVID : Wow, jamais vu ça… Ça goûte l’origine pis la fin du monde en même temps.

JUNE : David, je pensais jamais dire ça en français un jour mais… je t’aime.

David se retourne vers les étudiants défoncés.

DAVID : Heille, vous autres! Arrêtez de nous écouter! On se dit nos dernières paroles, là, c’est sérieux. Je pensais jamais dire ça en anglais, surtout pas là, mais go to fucking hell!

JUNE : Oh, David! This is so touching! Un Saguenéen qui parle anglais when everything’s burning down!

DAVID: What do you want? When I speak English, it is like everything is burning, every time…

JUNE : But you set the whole world on fire with your words, David! Tu mets le monde complet en feu!

Comme dans une mauvaise comédie romantique, il l’embrasse tout en conduisant d’une main. À la radio, on entend la chanson Highway to Hell. L’autoroute 20 défile devant leurs yeux alors qu’apparaît le générique de leur vie. Il y a trois noms. June change de poste de radio, et Stairway to Heaven commence et le générique Vanish. 

JUNE : Oh! C’est mieux comme ça.

Les ondes magnétiques se dérèglent; les gens entendent la radio et les conversations électroniques environnantes dans leur tête. 

JUNE : Cage d’escalier… jusqu’au paradis…

David s’arrête brusquement. Il sort du pick-up et ouvre les portes arrières. Il prend les étudiants poteux par le collet et les sort du véhicule.

DAVID : Envoye, c’est la dernière scène. Y a juste nous autres qui a droit à un cercueil de métal…

JUNE : Je verse des larmes de métal… David… Je parle, mais je comprends pas…

DAVID : Moi, j’entends juste Radio X. C’est vraiment la fin du monde…

JUNE : Tu penses? Ça fait comme grisssshhh grisssshhh moi.

Elle se prend la tête à deux mains, ses mains glissent tellement elle sue du crâne.

JUNE : David… Ouch…

David veut aider sa nouvelle blonde improvisée. Il la prend par les cheveux aussi, mais ses mains glissent. Tout glisse. Tout est sueur d’enfer et damnation d’odeurs de dessous de bras.

DAVID (prenant une voix divine) : Fuck, c’est Dieu qui parle dans ma tête. (hurlant) David, t’es Dieu, on est la même personne. Et celle que tu penses ta blonde, c’est aussi moi.

June lâche sa tête et le regarde, éberluée.

JUNE : David, tu dis le même chose que j’entends dans mon tête, mais en français meilleur.

Les plaques tectoniques se disloquent : la ville de Québec et la ville de Lévis se rapprochent dans un tremblement sourd.

JUNE (tombant par terre sous le tremblement) : Oh!

DAVID : Merde, j’entends plus Dieu.

Il s’étend à côté d’elle.

DAVID : Là, on est bien. Regarde les corneilles qui planent dans le ciel…

JUNE : David, tu penses, elles vont nous manger les yeux? Je suis peur, encore. Serre-moi fort.

Elle n’attend pas et se colle contre lui, gluante.

DAVID : On va leur lancer des poèmes, aux corneilles. Tu peux être sûre qu’ils vont nous laisser tranquilles!

David prend des emballages de McDonald et les lance dans les airs. Les poèmes brûlent instantanément. Le générique revient, écrit en lettres d’atomes dans le Ciel, le grand Ciel rouge.

JUNE (lisant, un peu difficilement) : Vie: la fin… Réalisateur : Dieu… Acteurs principaux : David Tremblay… (s’adressant à David) : C’est toi, ça?

On entend siffler : une bombe atomique rejoindra le sol dans quelques instants. C’est inévitable.

DAVID : Oui, c’est moé. Pis toi… (lisant) : « la grosse conne »?

Elle se décolle brusquement, regarde David avec des yeux méchants et surtout surprise de tant de méchanceté.

JUNE : David! Je croyais que… je croyais que…

Elle se lève sans un mot de plus et part vers la bombe qui siffle.

DAVID (de loin, gueulant) : En tout cas, tu vas avoir toute l’éternité pour changer d’idée! Dis-toi que je t’ai connue en sueur… En enfer, ça va nous donner une chance…

Il regarde le Ciel, où le générique se fait décapiter par le champignon nucléaire, la grosse moisissure, symbole de leur amour perdu…

FIN


Voici les autres textes qui ont produit sous les contraintes imposées lors de la deuxième période d’écriture du projet Huis clos à ciel ouvert :

Le maquillage est un art, de Catherine D’Anjou et Marie-Ève Muller;

Crime et délit pas loin d’un réfrigérateur, de Marc Laliberté et Lily Pinsonneault.