[heading style= »subheader »]Un détour sur De Castelnau[/heading]

c’est au coin Castelnau Saint-Dominique qu’une église a doublé de vitres vertes et
opaques les fenêtres de son église pour
qu’on ne puisse voir les vitraux qu’on ne peut apercevoir la nuit que de
l’intérieur
en face du McDo
le monde est bizarre et le déneigement va bon train

tu vois souvent cette église quand tu sors du métro De Castelnau
où tu parques ton vélo l’été pour aller à l’école ou aux restaurants indiens sur Jean-Talon
quoique lui l’homme n’avait connu sans doute que des Amérindiens
comme toi la première personne que tu as embrassée
le monde est petit
et à cette heure les expressions sont moins fatigantes que les mots neufs et personnels
et le personnel est toujours fatigué en dehors des heures de travail
et dehors aujourd’hui tout le monde gèle
mais toi toi tu as tant de linge superposé
tant que tu croirais comprendre et ressembler aux vitraux doublés de cette église
si tu croyais que les hommes enchâssés de plomb qu’on y a peints
tous des hommes sauf la vierge et Sainte-Anne
te ressemblaient quelque part
sous tes trois chandails et ton manteau

il fait froid il est tard et noir et tu
ne pourrais pas même te dire que tu te parles à toi-même
puisque tu ne dis rien
les déneigeurs aussi sont seuls dans leurs déneigeuses il y a
des couples qui te font regretter de te sentir mal de dire charrue même si
d’habitude rien ne te plaît autant que d’appeler les grattes charrues de ce nom
hérité du langage de tes parents qui fait tellement québécois
et il y a des groupes comme celui que vous formez qui te fait douter de pouvoir dire
groupe
même si vous êtes tous ensemble ici
à ce coin de rue où le monde est bizarre et froid et seul
seul
à cette heure les expressions sont moins fatigantes que les mots neufs et personnels

décidément tu te parles à toi-même comme dans un confessionnal
tu ne sais pas si c’est triste ou beau ou si le triste est beau ou l’inverse
à cette heure…
il reste si peu de pas jusqu’à chez toi qu’on pourrait les compter
mais s’il fallait marcher tout ce qu’on compte…
et tu attends à Saint-Denis où la traverse se fait toujours attendre
comme
ta voix sur tes propres mots pour toi-même quand tu es en public
même s’il n’y a personne

bon enfin
les draps sont froids ton corps est chaud
le chauffage chauffe et tu mets une couverte sur toi
sauf exception on dort tous mieux de même

 

 

 

[heading style= »subheader »]Une bière et Olivier[/heading]

la carte sur son mur cessait d’être une carte dès qu’elle embarquait sur le fleuve tandis
qu’Aude sur sa chaise gardait son manteau
elle accrochée à lui comme l’hiver les doigts aux gants tandis
que la serveuse sur le dossier d’Olivier tapotait des doigts et
qu’Olivier hésitait à choisir
gardant ses yeux rivés sur le tableau des bières tandis
que tes yeux plus bas posés proche d’où l’on voyait tout
ne voyaient rien et restaient sur la carte

sur la carte on s’était évité de poser des lignes pour les rues c’eût
été noir de lignes et le fleuve blanc le rectangle de fond de carte
n’eût plus été le fleuve mais rien qu’un carton blanc
et sans fleuve il n’y a pas d’île et si elle n’était pas sur une île
Montréal ne serait pas isolée de ses périphéries
celles qu’on s’évite
rayées trop droites
érigées par trop d’ordre et d’une main trop sûre de ses moyens
sans île Montréal serait d’un seul corps avec les rives Sud et Nord
et ne serait pas cette ville qu’un fleuve limite à une île et qui n’a rien d’elle au-delà rien
un fleuve rien d’autre
des ponts vers le déni
un carton blanc

la couronne de Montréal la ville reine Olivier
dit sa couronne recouverte de vinyle et de bardeaux d’asphalte est un joyau d’orfèvrerie
étonnement droit et régulier pour un ouvrage somme toute
fait à la main
chapeau bas d’y voir une couronne et un chef Aude
dit à Olivier t’es bon de voir la banlieue comme de l’or sur une tête folle toi
et toi tu te dis surtout en les écoutant qu’elle ne serait peut-être pas si folle Montréal-reine
avec en tête des cheveux longs pour expliquer les rues mêlées
qu’on n’a pas dessinées sur la carte
puis tu te rappelas votre oubli
car quoique comme parfois Montreal la vraie ville reine était d’un nom dit à l’anglaise
elle en portait un mohawk
tu dis on est mêlés la ville reine c’est pas le surnom de Montréal
Montréal c’est la ville aux cent clochers
la ville reine c’est Toronto

vous vous entendiez
de garder le silence pendant qu’on vous servait
la serveuse ne disait rien que le strict minimum de serveuse
Aude trouvait que c’était un bon service
vous vous entendiez

mais tu pensais surtout que si Olivier t’avait
vous avait dit la vérité à toi et à Aude et qu’elle savait
te comprendre autant que lui tu le voudrais
tu voudrais le leur montrer oui que c’est beau
que ce serait beau de voir la banlieue ainsi et qu’il dit vrai
Olivier que c’est un travail de la main et d’or peut-être mais que c’est impossible
impossible d’y vivre de le vivre que ce soit vivant
sans se le rappeler
ou qu’alors Olivier plaisantait qu’Olivier te trompait
et qu’il n’y avait rien à faire tout était laid
trop compliqué vous les premiers

 

 

[heading style= »subheader »]Pastorale sur Saint-Laurent[/heading]

de cette terrasse qui s’avance
au large de la rue
comme ton amie Paule elle-même est déjà pas mal avancée
on croirait que les autos nous foncent droit dessus
et entre leurs moteurs Paule
et sous leurs projecteurs
le va et le viens de ses mains
dans son visage et son hoquet
toi tu es bien fesses assises et dos accoté contre un bac à fleurs
elle recroquevillée une main amie sur son épaule
vous êtes dans la rue
et sous des lumières de Noël
de terrasse d’été

vous êtes dans la rue de cette ville comme d’autres
ta ville est carreautée de rues comme un kilt écossais
Simon veut rejoindre Paule par solidarité qu’il dit
mais flotte par-dessus elle comme un pli de kilt écossais
leurs voix semblablement froissées ne se touchent qu’en cul-de-sac
mais tu les laisses faire et finis ton boire cul-sec
tu te dis qu’il vaut mieux les laisser croire à quelque chose
que de croire qu’ils en manquent comme sous le kilt d’un écossais

la rue est un grand corridor habillé de draps blancs
les trottoirs sont une corde à linge et le ciel une pelouse verte
et la terrasse où vous buvez une branche d’arbre qui traîne au vent
à peine au-dessus des têtes
vous en êtes les oiseaux qui chantent leurs codas
Paule en est la tourterelle
et Simon le corbeau
toi le merle avec une tache de vin sur ta chemise
autour de vous on vous observe
et on vous reconnait
communs comme des moineaux
on n’a pas même à vérifier les livres