Dans le noir de la chambre, vous vous habituez à construire une planète à la fois, une rouge, une bleue, une noire et encore une rouge, pour ensuite ne plus savoir sur laquelle vous poser.

Commencez par le début.

(eh bien /  je suis né en région / ça explique certaines choses / j’imagine / j’ai toujours été pris / dans ce besoin / de transformation / dans cette position / du gars / qui veut devenir / le plus désirable le plus / visible le plus / remarqué )

Je vous l’accorde, on ne s’habitue jamais à prendre si peu d’espace

(j’étais un beau petit blond une belle petite poupée / puis j’ai été un ado tourmenté / le cliché même / j’étais seul j’étais / pas beau du jour au lendemain j’ai arrêté / de manger suis devenu / maigre une sorte / de fée-squelette translucide)

Je vois.

La nuit, vous vous glissiez dans la cuisine, furtif, vous preniez la tasse, le verre d’eau, la cuillère, et vous vous taisiez, vous laissiez votre ventre occuper l’espace du silence. Vous entassiez tous les objets que vous preniez dans votre cachette, vous vous enterriez fécond parmi les sacs de Ruffles, les canettes de Pepsi et les paquets de cigarettes. Vous souhaitiez disparaître, voilà.

Un enfant se volatilise parfois de la même façon, sans aucune trace, on ne le retrouve que par habitude ou par ennui, à moitié dévoré.

(j’accordais beaucoup d’importance / au regard des autres / comptes Instagram thirst trap gorgés de statues d’hommes ciselés / étalés autour de moi de toutes les façons possibles /  un océan de nus éditoriaux et j’avais ce physique / de danseuse de ballet je restais / comme / en dehors / de la beauté / de l’idée qu’on s’en fait)

Vous vous étendez de tout votre long dans cette chambre artificielle. Pas de place possible pour votre visage captif. À travers tout ça, vous essayez tant bien que mal, vous vous comportez comme un souffle invraisemblable. Que faire d’autre ? Vous n’avez pas de visage.

Si vous ne tentez rien, ce sera bientôt votre tour de disparaître.

En vous maquillant, peut-être…?

(et tout à coup / je deviens Lolita pour retrouver le petit gars très regardé que j’étais / le déguiser en princesse et recréer autour de moi l’enfance où j’étais le centre de l’attention / j’ai développé une féminité une / sensualité / c’est encore ce besoin / de me valoriser / narcissiquement / et de me détacher / de mes origines terrestres)

Soyez prudente, c’est une sorte de danger que vous déposez sur vos lèvres ! Cache cerne, master conceal. Enlumineur classic ivory pour vous rendre à l’école. Un manteau à deux faces, votre peau, soleil de rimmel, poudre scintillante compacte, directement dans vos blessures d’avant-garde, pour lutter contre la disparition. Enfin, une touche de micro-crayon pour un look tout simplement flawless au milieu des décombres.

Vous êtes un chef d’œuvre du mauvais goût.

***

Craquements, déjections, déformations sonores. Dehors, dans une forêt industrielle sinistre, des plaintes sont longuement martelées. Quelque part un adolescent repeint sa nouvelle voiture – il ne vous voit pas encore, vous pouvez naviguer en toute quiétude. Si on vous dévisage, ce ne sera que pour un instant confus.

Allez-y étape par étape.

Cette forêt abritait jadis une guerre, vous en êtes à peu près certaine, les traces sont encore visibles sur les troncs, amplifiées au point de recouvrir les immeubles d’une vapeur continue, d’un vent qui contamine les idées. Réalité objective :  deux ou trois systèmes de dépotoir savamment conçus, dans lesquels vous vous débattez depuis le commencement. Le robinet laisse échapper de nulle part une robe de ballerine, les vêtements s’empilent.

Prenez-les maintenant.

Moment de sorcières, cauchemar en tutu, une lumière blanche souligne le rêve, et les morceaux disparates qui composent votre visage

sa maladresse de surface

De partout, les délires technicolor vous assaillent. Ils maîtrisent l’art de la torture, tout en brillance chromatique.

Vous déliez progressivement votre tête et son film de menaces. Vous vous nourrissez de visage en stop motion, c’est assez

le simple assemblage d’événements ne suffit pas

vous cherchez l’ampleur, la vérité claire

et l’horreur qui en surgit

il vous faut des couleurs dramaturgiques

même l’espoir et votre bouche
fardée d’un sexe

justifient ces couleurs vives
où vous êtes empêtrée
le maquillage

comme unique sorcellerie