Les premières chaleurs accablantes d’une longue canicule, si l’on en croit les prévisions.

la ville prise
d’obsessions soudaines
te plonge incertain
dans ses dédales de bouette

Ambiance costumes de bain, crème solaire, chaises pliantes et ballons de plage. Les vagues paresseuses du lac Gilman se déposent sur la grève, s’écrasent sur les châteaux de sable maladroitement érigés. Elles surprennent au passage les orteils de quelques promeneurs qui, main dans la main, s’éloignent dans une cacophonie de cris flûtés, sautillant loin des vaguelettes.

Un chien s’ébroue tandis qu’à quelques mètres, deux adolescents exécutent des lancers de frisbee sous les regards qui ne manquent pas de se poser sur eux.

(Ne t’y méprends pas             ce genre de garçons             n’ont pas d’yeux toi.)

une lassitude ancienne s’éveille
toutes les courbatures
d’une vie de jambes empêtrées

***

de dépit tu remontes
le chemin erratique
des planètes
déposées tendrement sur tes joues
tu enfiles un jockstrap de rumeurs
d’un seul doigt, tu traces ton arbre généalogique dans le sable, engendrant à rebours tous les p’tits twinks qui t’ont précédé, lesquels engendreront leurs ancêtres et les ancêtres de leurs ancêtres jusqu’à l’androgyne séminal.

Il y a certainement quelqu’un qui m’a tuée. Puis s’en est allé. Sur la pointe des pieds.

***

tu te régales du spectacle des fourmis sur le trottoir des premières chaleurs
enroulement fractal des nuages
tremblement du ciel imbibé du quotidien ici        même les écoles fakent leurs orgasmes
et la ville jalouse ton absence de frontière

canicule générique
le temps t’avale
le dimanche, séquençage du pain doré

l’été n’en finit pas
de fléchir

***

quelle loi secrète permet encore
la fonte
des maillots
pleins à craquer
des garçons de plage – des gars que je connais

tu apprécies passivement
d’être toujours en vie
et offres ton âme aux mouettes

Ta montre indique maintenant 15 h 13. Les minutes passent et s’enculent les unes les autres. Tu tends la main vers le sac de plage, en extirpes une bouteille de vin, la portes à tes lèvres.

Au bout de la dixième gorgée, tu te craches dessus, un filet de bave acidulée dégouline sur ton torse. C’est à peine si tu t’en rends compte. Stereo Love, le hit de l’été, te pourchasse de la plage au centre-ville, fusant des haut-parleurs suspendus aux lampadaires de la rue principale et nappant les rires des baigneurs et les moqueries des mouettes. Un jam au rythme énergique, entraînant. Quelque chose à propos d’une histoire d’amour passionnée en train de mourir.

Tu descends le long de la rue Bordeleau, croises au passage Mme L. dans sa randonnée quotidienne. Toutes sortes de rumeurs courent sur elle. Apathique, marchant à travers la ville, le pas claudiquant, le regard vide, les cheveux blanchis, à toute heure du jour ou de la nuit, elle cherchait, disait-on, le fantôme de son mari. L’histoire s’est étoffée avec le temps  : on atténuait certains détails, en ajoutait d’autres, troquant le récit classique de la sorcière dans les bois par celui d’une secte qui dirigeait secrètement la mairie de la ville.

Au coin de la 3e rue et de la 4e avenue Nord, tu tombes sur le fils de L. qui, ayant sauvé la propriétaire du casse-croûte Chez Jo-Anne quand un incendie a éclaté dans le restau, arbore les stigmates de son courage sur son visage dévasté par les flammes ; tu salues la couturière fumant une cigarette à quelques pas de la vitrine de son magasin, juste devant l’entrée du centre commercial – c’est une étrangère, arrivée depuis peu, elle doit encore faire « ses preuves », dit-on – ; tu changes de trottoir quand retentit le rire gras de F. plus loin devant toi, une vraie calamité pour les enfants trop chétifs, celui-là.

On souhaite bonjour, échange des signes de main, hoche la tête en prenant des nouvelles d’untel.

les visages et les ouï-dires s’enchaînent les uns après les autres
sous les sonneries de cellulaires acariâtres

l’été n’a rien d’évident
pour toutes ces villes
qui prétendent à l’envers