Après trois jours entiers à me claquemurer, de la terreur plein la tête, de la grisaille saturant mes fenêtres, je me lance sur une route non tracée. Le soleil, blotti sous des couvertures douillettes, éclaire à peine mes pas. Le vent glacial réveille ma peau. Mes oreilles, mes narines, ma bouche s’ouvrent grandes et, à travers elles, mon cerveau invite la fraîcheur : sillonne-moi, aère-moi, l’anxiété ne survit pas à l’air libre.

Un fragment de mousse déposé sur l’herbe, détaché de la terre, m’appelle. Libre. Je l’emporte, l’abritant dans la tiédeur de ma paume. Le bout de mes doigts caresse son velours. Je resserre mon étreinte au moment de traverser la rue, comme si je tenais la menotte d’un enfant.

Nous voyageons. Chacun de mes pas fait vibrer ses feuilles microscopiques.

Je prends place sur un banc. L’installe, lui, au creux du siège formé par ma main ouverte. Ensemble, nous assistons à l’opéra du Saint-Laurent et de ses sopranos ailés, un spectacle sans fin ni commencement. Mon souffle de plus en plus calme se mêle aux bourrasques. Outardes et goélands dansent au bout de mes soupirs.

J’ignore si la mousse peut s’émerveiller, sous quelles formes ou quelles couleurs ses émotions affleurent. Ma seule certitude est que nous sommes ici. Et je parie que c’est la première fois que mon moelleux compagnon sent le fleuve de si près dans ses fibres.

Les nuages s’obscurcissent tandis que la lueur diffuse du soleil glisse sous l’horizon. Soudain, face à nous, un dragon s’éveille. Comme s’il laissait voir à travers lui le trésor qu’il protège, son corps ruisselle de lumière dorée, remplissant mes pupilles avides. Il n’y a rien à craindre ou à espérer, ce n’est que le casino qui dort, bien repu, des dollars plein le ventre. Son éclat, bien qu’artificiel, m’électrise.

Je bondis sur mes pieds gelés, me remets en mouvement. Revenant sur mes pas, je dépose mon camarade de voyage près de roches humides sur lesquelles il pourra naturellement s’implanter. Je repars vers la maison, seule – mais pas vraiment. L’intérieur de ma poitrine se tapisse d’un riche humus. À peine rentrée, je me prends à rêver qu’à ma prochaine sortie, de minuscules crosses de fougère pourraient émerger de l’ombre.