Depuis deux lunes, je tourne une à une les cartes et tu ramasses celles qui tombent pour fabriquer des samouraïs en origami qui transpercent nos cœurs. Nos plantes éclaboussées se vivifient sous une pluie de sang, nous mourons dans une jungle exubérante entre deux gibbons trop absorbés par leur sexe pour s’apercevoir de notre présence.

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Te souviens-tu de ces hommes qui couraient bouche tordue yeux effrayés ? Un soleil noir avalait maisons et bétail, les voisins devenus fous riaient, riaient devant les barbecues en feu. Te souviens-tu alors comment nos mains restaient soudées dans le plaisir d’être ensemble ?

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Le soleil s’éloigne dans un VUS gris argent. Nous ne connaissons ni la fin ni les origines, nous nous débattons dans l’enclos du paysage où des volutes noires nourrissent les cancers. L’ironie ne nous sera d’aucun secours. La paranoïa creuse plutôt ici des étangs de misère. Que faut-il pour vivre : s’effondrer engourdis parmi les chats ou encore fuir, suivre les traces entre les aulnes jusqu’à cette route qui ne mène nulle part ?

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Je tente d’oublier le visage que tu avais en rêve au moment où tu forçais un doigt dans mon cul. Le matin est différent : un faisceau de lumière bleue, quelques plantes grasses sur l’étagère, la corneille sentinelle sur un coin de la grange. La sérénité se tient, droite et discrète, derrière la ligne du fossé. Cet angle précis de son front donne sur l’est.

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Tes amitiés ont longtemps été un champ miné, un défilé de coyotes. Tu me parles d’eux comme si tu caressais du verre brisé dans tes poches. Ton regard s’éternise sur le panorama grignoté par les machines. Nous dévalons la pente qui donne sur la raffinerie, tache que nul n’aura jamais la force de frotter et signe que nous habitons une bulle de catastrophes. Il arrive que je te fasse  peur, je me rappelle alors à quel point je suis laide. Notre existence ne tient qu’à un fil.

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Nous arrêtons nos balades devant le parc à chiens. Les édifices en construction, leurs arrêtes insonorisées, leurs promesses de fenêtres l’emportent sur le ciel. Il s’agit du seul endroit où contempler les astres après le repas. Nous nous aimons en silence, retraçant la boucle de nos destinées. Même quand je suis seule, tu es là sur mon épaule et je t’entends me dire que le monde dégringole au-delà des kilomètres qui encerclent nos biens. Nos coutelas cisaillent la neige au retour. Nous nous retrouvons au point de départ et je m’abreuve à ta fatigue. Je prends un raccourci jusqu’à notre lit, tu m’y attends avec ton aura de lance-flammes. Nous déverrouillons le secret des épices, reformulons la clé des essences – à toi les fleurs, à moi les racines.