La matérialité la plus quotidienne est celle qui se déroule dans la salle de bain, devant un miroir, avant de couvrir les défauts, ou durant un acte d’amour précipité, individuel et manqué, ou lorsqu’on zappe sur internet, qu’on se pollue le cerveau de pensées démagogiques et que le temps passe, et lorsqu’on pose un geste impulsif, notre main agissant plus vite que notre pensée.

Les mots vont aussi aux toilettes. Ils deviennent des multitudes de sens et d’usages. Un mot est sans identité. Des sons et des signes. L’auteurice modèle le langage pendant des heures, avant de sortir de la salle de bain un texte maquillé et souriant. La matérialité s’efface et se réécrit, au-delà du talent et de la vocation. Par le biais de la matérialité, l’écrivain⸱e s’écrit en tant que professionnel⸱le égal⸱e aux autres professionnel⸱le⸱s de la culture. La matérialité n’a pas besoin d’adjoint⸱e⸱s pour gérer les aspects pratiques, dits ‘matériels’. La matérialité d’une voyelle ou d’un point est un geste long et patient qui, souvent, n’a rien à voir avec les intentions de l’auteurice.

La matérialité commence dans le corps. Des poumons détendus. Une cuisse endolorie. Un cou souple. Peut-être plus à droite qu’à gauche. Puis, une alchimie électrique qui bouillonne dans le cerveau, démarre et voyage jusqu’au contact avec le clavier. Écrire avec trois ou quatre doigts. Écrire avec tous les doigts. La maîtrise du pouce et de l’index s’évertuant avec un crayon à imiter plusieurs écritures, un art appris à l’école primaire, auquel je pense quand des comédien⸱ne⸱s prennent différents accents.

La matérialité est faite de temps et d’essai. La matérialité n’a pas de représentation, sinon elle a déjà perdu sa force incertaine, son questionnement jamais clair, et elle est devenue un récit et une économie de signes. La matérialité est possibilité, ces choix qu’on oublie d’apprivoiser en nous, des gestes alternatifs auxquels on pourrait donner l’opportunité de surgir.