Un matin à trois machines, comme trois cœurs désaccordés, un matin, une bouche, comprends-tu ? Je n’ai pas trouvé comment décrire cette terreur opaque qui me capture, peut-être les plantes pourraient-elles mieux que moi te renseigner sur mon visage : un long effritement aux contours rougeâtres, des squames en flocons sur le tapis de bain. Tu commences à bâtir sans moi une cabane, un squelette de bicoque, tu parles du bonheur comme d’une insupportable démangeaison. Ta maison a le feu sauvage, une bouche, vois-tu? Je lance une tasse de neige folle sur le pas de la porte, de fantomatiques formes d’iris volètent un moment avant de se confondre avec les lettres du paillasson. Un jour tu m’as avoué que les iris te faisaient penser à mon sexe. En ces temps-là, je, fleur délicate et mauve, regardais avec toi tomber la pluie battante. Nous nous trouvions à l’abri, nous ne le savions même pas.

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Dentelles, dentelles et motifs victoriens. Moquettes épaisses, papiers pâles et peints. Jouets d’époque. Céramiques méditerranéennes, lames du japon. L’œuf casse, le coupable cligne des paupières. J’ignore ce que je fais ici. Qui sont ces gens ? L’eau turquoise de la piscine masque momentanément l’inquiétude. Juillet, c’est raté. On me surnomme arc-en-ciel. Où sont mes parents?

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Le lit défait, l’érable tronqué en pleine sève – comment dire –  je fus jadis reine de la nuit, non cette amphore fêlée que tu tiens dans tes bras ce matin. Courons à l’eau, courons vers la terre meuble, je te promets chambre qui s’écoule en ombres vraies, un carrousel de grandes fêtes. Tu me replaces devant la fenêtre, t’éclipse doucement, le dialogue avec les spectres reprend où je l’avais laissé.

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Nous parlons peu de l’enfant que nous n’aurons pas ensemble. La scène de l’amour radieux continue de se jouer derrière la paroi de ce-qui-nous-est-imparti. Dans l’espace ajouré, nous contemplons avec un trou au cœur les parents magnifiques que nous aurions pu être : la couraille des renardeaux, une fête follette, un sacre de bouchons sauteurs. C’est notre forêt mon aimé, jouons à colin-maillard dans les feuillages grandioses. Un bosquet de laurier-rose, une vie autre. Resteras-tu ?

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Champ dévasté, vitres sales, voici le printemps. Nous nous soûlons à genoux dans la chambre, enragés de désir. Le piano pourrit sur la galerie, nous suivons du doigt les corbeaux dans leurs jeux-falaises. Leur théâtre céleste donne à nos mains le souffle, l’idée. Gardons-nous de falsifier nos cartes : l’improbable retour exige des images brassées, une science de la mutation que seules maîtrisent les spirites.

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Dans ma nuque, toutes les choses que je ne fais pas, des têtes écrasées, une télé défoncée. C’est le printemps, oui et je retire la vitre du ventre d’un bébé pour qu’il parle. J’attends devant la porte comme un pamplemousse ouvert, j’écoute les canards trainer leurs os sur les lacs, ma bourrure sort de partout, je pépie comme un journal intime jeté au feu.

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Nous irons au Tadjikistan, nous saurons quoi mettre dans la trousse de premiers soins, nous nous lèverons tôt, aurons trop de cheveux, lécherons notre alcool et le calcium sur nos bottes, donnerons cent mille coups de poing, affuterons nos animaux zodiaques, prêterons serment aux roches. Je te promets : tu sauras tout de moi en terre tadjike

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