Ce texte a été écrit dans le cadre du cours Écriture de fiction I (roman), donné à l’Université Laval par Pierre-Luc Landry à l’automne 2012.

 

Assise dans un bancal 1½, j’écris à la lumière d’une chandelle (me foutant complètement du fait que les moines copistes en perdaient la vue). La lune perce la fenêtre. Sur la table, la cire pleure la défunte bougie au même rythme que l’absinthe me coule dans la gorge. Sur ce, attendez-moi quelques instants, je fixe l’infini par la lucarne et ensuite, je suis à vous.

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Inutile de le préciser, ce chimérique portrait ne s’imprègne non pas d’absinthe mais de ridicule. Toutefois, soyons prudents et ne dénigrons pas tout de suite ces balivernes : cette image de l’écrivain reclus s’ancre si profondément dans l’imaginaire populaire qu’elle mérite sans doute qu’on lui accorde un certain intérêt… Cela dit, cette figure de l’artiste qui se claquemure n’est sans doute que le résultat de la caricature rabâchée d’un élément essentiel à la création : ah, solitude, quand tu nous tiens.

La solitude littéraire fascine. En dépit du fait que le concept du « besoin de solitude » ne soit pas exclusif au domaine littéraire, la solitude littéraire, elle, s’enveloppe d’une aura mystique. Il semble que, contrairement à la solitude pragmatique du chercheur en neurobiologie absoute à grands coups de c’est normal qu’il soit seul, il faut qu’il se concentre, bon sang!, la solitude littéraire a ceci d’incompréhensible que l’écrivain, lui, ne se concentre pas; il cherche l’inspiration. Pour lui, il ne s’agit pas d’un état, mais d’une quête : l’attente de cette ésotérique Muse qui ne chuchote à l’oreille de l’écrivain que si celui-ci se retire du Monde. Ainsi, pour écrire, faudrait-il s’appliquer à cultiver cette exclusion, de peur que notre source de création ne se meure d’un contact subit avec l’espace social? Louis Hamelin écrit, dans « La tentation idyllique », que peu importe si l’auteur produit « de la fiction où de la non-fiction, l’écriture s’adresse toujours à des humains dont l’écrivain ne saurait sans dommage se couper complètement » (2012 : 38). Auquel cas, pourquoi entretenir une telle fascination pour le concept de solitude? Pourquoi me plairait-il d’écrire si tout ceci n’est que soustraction au monde et renoncement? Pourquoi m’astreindre à ce sadomasochisme social?

Solitude obligée, certes. Mystérieuse? Bof. Je le répète, qu’a-t-elle de si différent? Qu’est-ce qui la rend mythique? L’écrivain est-il si singulier qu’il puisse prétendre à l’absolu? Bien sûr, ce retrait temporaire du Monde est nécessaire; il me serait sans doute ardu d’écrire au volant de ma voiture ou lorsque je m’entraîne à la piscine. Toutefois, de là à en faire tout un plat et à penser que le romancier est envahi d’une solitude particulière, voire divine? Je réponds : re-bof. Néanmoins, ce pouvoir céleste associé à la solitude littéraire réside peut-être dans le fait qu’écrire c’est créer et que créer ce n’est pas rationnel, d’où le besoin de se l’expliquer d’une quelconque façon (puisqu’il faut toujours tout justifier). Aurais-je raison? Considérant que j’ignore ce qui se produit à l’intérieur de ma propre tête lorsque j’écris, ne me demandez pas de me propulser dans celle de l’Écrivain. Je le concède, pour l’instant, cette solitude littéraire conserve tout son mystère… plutôt pratique cette Muse après tout.

N’empêche qu’assise là à gobichonner mon chai-latté (eh non, je ne me trouvais pas réellement dans une obscure et miteuse chambre de Paris à retranscrire Les Fleurs du mal de Baudelaire, mais dans un café de la rue St-Jean : je préfère nettement les clichés qui ont le goût du thé), personne ne porte attention à moi. La chose tombe bien puisqu’en fait, je n’écris pour personne. Considérant que j’ignore tout de celui qui me lira, encore faudrait-il que celui-ci existe, pourquoi m’évertuer à lui plaire? Chère Catherine, nous faisons maintenant face à une question sensible : si tu n’écris pour personne, as-tu réellement besoin d’être lue? Sûrement pas. Alors, si tu n’écris pas pour être lue, pourquoi t’y astreindre? Mais c’est qu’elles se chevauchent, ces sensibles interrogations.

En sauveur de mon âme et conscience, Murakami écrit, dans Portrait d’un auteur en coureur de fond, qu’il n’a jamais aimé la compétition et qu’une activité lui apparaît plus intéressante si elle consiste en l’atteinte d’un but qu’il s’est lui-même fixé. Il renchérit en posant que « dans le travail de romancier, pour autant qu[’il le sache], la victoire ou la défaite n’ont pas de sens » (2011 : 19). Merci Murakami, vous m’enlevez un poids, moi qui n’écris pour personne. Ceci dit, me faudrait-il peut-être accepter qu’écrire ne soit pas un acte de solitude, mais un acte de pur narcissisme? Mais voyons Catherine, ne sois pas aussi dure avec toi-même. Vous qui affirmez ceci, je vous renvoie la question : si vous vous rédigiez une ode, vous en penseriez quoi? Silence. Cette solitude obligée ne serait alors que la conséquence apparente d’un narcissisme profond? Logique, si je n’écris pour personne, c’est que j’écris pour moi-même. Pire, peut-être que – et ici je suis bien consciente que je pastiche les propos de tous les auteurs qui tâtonnent en entrevue – j’écris pour mettre au jour ma vision du Monde?

Dieu m’en garde, non. Bien que l’entreprise m’apparaisse intéressante, elle n’en est pas moins prétentieuse. Aussi, comme je ne parle jamais de ce que je ne connais pas, prétendre connaître le Monde m’apparaît bien pédant. Narcissique, sans doute, mais pas pédante, jamais. Je crois simplement qu’avec les mots, j’essaie de saisir une infime partie de mon microscopique Monde, un infinitésimal échantillon que j’aspire à comprendre. Si j’y parviens, peut-être n’aurai-je écrit pour personne, mais à tout le moins, j’aurai écrit pour quelque chose.

Dans ce cas, alors que je clame haut et fort que je n’écris pour personne, et que j’affirme, comble de l’arrogance, que je ne ressens pas particulièrement le besoin d’être lue, pourquoi éprouvé-je ce désir de publier? Pourquoi vouloir jeter ma quête personnelle entre les mains d’un inconnu impitoyable? J’ose croire que la mise en marché représente possiblement l’explosion de mon microcosme ou, ultimement, la fin d’une solitude. Tenir le bouquin imprimé, comme un objet, c’est peut-être là le seul moyen d’accepter que mon roman n’aura plus à être relu, réécrit? Dès lors, il ne m’appartiendra peut-être plus.  Avec un peu de chance, j’aurai raison : Sartre n’a-t-il pas refusé son prix Nobel entre autres parce qu’il n’acceptait pas d’être consacré avant sa mort? Encore que j’écrive ceci sans n’avoir jamais rien publié… L’imagination a cela de merveilleux.

En guise de conclusion, souvenez-vous que, comme Murakami l’écrivait dans sa préface, « sans doute n’est-il pas possible de généraliser. C’est moi, moi seul, que je présente ici » (2011 : 10).

 

Bibliographie

MURAKAMI, Haruki,  Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, Paris, 10/18, « coll. Domaine étranger », 2011.

HAMELIN, Louis, « La tentation idyllique », dans DAUNAIS, Isabelle et François RICARD [dir.], La pratique du roman, Montréal, Boréal, 2012, p. 25 – 61.