Ce texte a été écrit sous contraintes dans le cadre de la Tentative d’épuisement d’une œuvre de Riopelle tenue au Musée National des beaux-arts du Québec le 5 avril 2013, pendant la Nuit de la création.
I
La chute des oies
Le ciel pleure entre douceur et violence
Cous tordus cous rompus
Les serres délicates mains de grand-mère sans chair mains de mort
Tes ailes ton déploiement tout cela paraît difficile
Tu portes le poids des enfants morts
Fragilité dans l’ombre des vieilles plumes
Petites griffes petits corps
La lumière chavire s’étend comme une âme mille âmes sous les yeux et l’ombre d’un visage
Tu te dévoiles en te cachant dans la courbe du dernier oiseau cœur barbelé
II
Tentative de redressement
L’envol restera encore un échec
La lourdeur s’accroche fer aux pieds
Les morts en toi multiples et grandioses
Cadavres cueillis au milieu des forêts
Cadavres comme des cœurs fœtus
L’œil tourné vers le ciel ne voit plus rien
Les enfants morts perdent leurs ailes
Les enfants morts t’arrachent tes ailes
Tu croules sous le poids de la légèreté
Tu t’es trompé
Ici les limbes
III
Vole comme tu peux
Vole comme tu meurs
Les yeux vides
Les griffes acérées
Manucure funéraire
Le souci du beau jusqu’à la fin
Les ailes sans le mouvement
Il existe bien un souffle qui tarde à s’enfuir
Oui celui-là dans la brume
Celui-là que tu n’as pas saisi
Celui-là insaisissable presque
IV
Derrière le grillage
Belle oie criblée
Et les trous dans le ciel
Il faut tuer les lunes trop pleines
Tout pour te décomposer
Laisser pousser la fleur
Racines à l’orée des os
Frémissements dans la cage
Une autre vie à tisser
Fils d’ombres et de lumières
Ton jardin de l’autre côté
V
Ceci est mon sang versé pour toi
Homme au cœur trop lourd
Déploie ta gorge d’oiseau
Dis les choses
Fragmente ta vision ta vie
Multiplie les ombres les enfers
Marche sur les écrous les boulons
Recrée tes ailes à coup de mots tirés du chaos
Le sens en germe dans ta paume
VI
Un peu de chaleur de violence
Les oies se tirent te tirent tu tires
Tu tends vers les hauteurs
Il y a quelques ratées
Et les fosses pleines de clous comme des bras ouverts
Tu persistes ou tu meurs
Oui tu persistes
Tu défies le ciel
Tes regards de feu tes mille yeux
Tu es beau quand tu flambes
Toi dans les coulées de rose
L’aube t’embrase
Tu deviens la lumière
VII
Forêt tissée de mystères
Tes silences contre ma peau
Je saisis des choses qui ne sont pas écrites dans les écorces
Le cœur palpitant du monde tapi dans les branches et les échines ployées
Il y a bien quelques oscillations
Des oiseaux qui hésitent entre la vie et les entrailles
Le renard roux attend la gueule ouverte
Soyez sans crainte
Je le nourris de mots d’amour
Seuls ceux qui déchirent les temps boisés y passeront
Le renard roux acquiesce
Les oiseaux se balancent encore
Douce pénombre
VIII
Les oies folles
Tout vole en éclat
La cage ouverte
Le cœur à découvert
Trop d’air
Les vents charrient des pierres
Il tombe des clous
C’est la tempête
Les oies folles
IX
Le chaos s’effrite
La terre prend forme
Mais par-dessus tout
L’envol d’un oiseau
Qui fuit la matière trop rigide
Et l’aube coulante
Qui apaise les blessures du commencement
X
La souris l’écureuil
Les petits n’ont aucune chance
Contre la vie les oiseaux de proie
Mais ce qu’il en reste te servira
Des os pour tricoter un foulard
L’hiver qui approche a des dents
Et les enfants orphelins
Oublient souvent qu’ils peuvent mourir
XI
Ni les clous ni les vices ni rien
Même ces menottes au bout de tes os ne te retiendront pas
Ton corps grandiose ton déploiement
Tu crées le vent perce le soleil
Toi à grands coups de serres dans la voûte
Fais pleuvoir sur nous des étoiles
Et un soupçon de néant
Il y a tant d’histoires à recommencer
XII
Trois canards morts noyés
Les eaux sombres de l’étang
Se sont faufilées avec doigté
Jusqu’au cœur
Pincé serré égratigné
Un dernier cri avant la fin
Puis les eaux sont retombées
Mortes d’avoir tué
Trois corps flottant
Dans les reflets figés du jour
Tout sera gris
XIII
La peau du lac se fracture
Le poids des morts
Les souvenirs les mots immenses
Et voilà les hommes vautours
Qui plongent dans la chair
Leurs couteaux acérés
Brisent la voix
Mais le silence est impossible
Quelques oies sur les rives crient
Rien ne sera tu
XIV
Il a troqué son ciel pour les limbes
L’enfant oiseau
Il entame le mouvement du retour
Mais ses ailes coupées
Ne repoussent pas
XV
Ma muse ma pénombre
Je t’aime au plus profond des éclipses
Jusqu’au rouge
Mes mots mes mains affamés
Je t’aime flèche en plein cœur
Et tu tombes oiseau meurtri
Je t’aime mal
Tu ne m’aimes plus
XVI
Les oiseaux sortent du ventre
Avant l’enfant
Sèment quelques violons quelques rêves
Pour adoucir la voie
Mais la main du monstre n’est pas loin
Prête à s’abattre
Il hurle que tous les débuts doivent mourir
Il hurle à fendre les corps fragiles
La mère frémit
L’enfant s’essouffle
Mais les oiseaux refusent la faiblesse
Ailes béantes fondent sur le monstre
Mille becs fracassent son crâne
Corps mort montagne inerte
L’enfant cherche le vert
Le temps des fougères approche
XVII
Parfum de cèdres
Pour apaiser le cœur qui palpite
Suspendu entre ciel terre mer
Stupeur devant la beauté à renaître
La cage a cédé les feuilles murmurent
À petits pas le temps bleu approche
Délicat
Rien ne sera froissé rien
Le centre des choses
Commence son expansion
Dans le premier regard du phénix
S’abreuvant aux perles de lumière
Semées par les mains noircies
De l’homme qui laisse pousser les iris les oies
Dans son âme jardin sauvage
XVIII
Entends-tu le chaos
Le souffle pesant
L’absence du cœur
Le monstre avance
Ravage tout presque
Lance des pointes des flèches des fers
Assomme le vivant
Traque tous ses fragments
Mais une oie survit
Elle fera tout chavirer
Le monstre se répandra comme du verre
Et l’oie
Recoudra les blessures du monde
Douleur par douleur
Lentement
Pour ne pas oublier
L’ombre du chaos
Toujours là
XIX
Ton amour criblé de clous
Il a vu des choses qu’il ne fallait pas
L’obligation du silence a déchiré ses chairs rompu ses os
Mais toi tu refuses
Tu le couvres de tes ailes
Et les bêtes te prêtent leurs larmes
Rouge la rivière rouge
Mais le corps résistera tu le sens
Les paupières se soulèvent lourdes comme le monde
Ton amour les yeux crevés pour ne plus voir
Tu le nourriras de mots sans taches
Il restera au creux de toi
Et les bêtes lui fabriqueront de nouveaux yeux
Car les envies de noirceur
S’estomperont tu crois
Ton amour encore
XX
Au milieu des lunes et des fougères
La nuit prend son envol
Les oiseaux tissent nos secrets
Et les posent poussière sur nos paupières
Au réveil
En nous
Le germe d’un rêve à façonner
XXI
Corbeaux corneilles
Même les fougères ont des ailes
Et chaque plume ciselée
Portée par le vent
Écrit l’histoire des souris tombées au combat des tamias des bébés chats
L’estomac comme un cimetière
Les feuilles murmurent une dernière prière
XXII
Lumières dorées du crépuscule
Comme une peau
Vous enveloppez les formes l’immobile et le mouvement
La caresse des ombres
Telle une berceuse
Et les souvenirs du jour passé
Vous endorment
Les vies recroquevillées patientent
L’aurore n’est jamais bien loin
XXIII
En plein cœur
L’oiseau et le rouge
Qu’il pleuve des clous des cordes des désordres
N’empêchera pas
Ton âme de vibrer
XXIV
Il y a de ces nuits
Qui paraissent plus étranges que la mort
Le temps tourne dans tous les sens
Les animaux crient
D’une voix qui n’est pas la leur
Les herbes corps frêles affolés
Le monstre agite les doigts
Égorgeant au passage quelques rayons
Lune ensanglantée
La chute des oies ne surprend pas
L’âme innocente des enfants tapis dans les bois
La main du monstre déchire les ombres
Mais ne les touche pas
Leur cœur se tait et leur souffle
Ne surtout pas éveiller les soupçons
Une autre nuit encore
À suturer les plaies de la lune
À enterrer les pauvres oies
XXV
Cette nuit-là
Il y eut beaucoup de fins
Au matin
Les cadavres noyaient les fougères
Corneilles oies bruants souris tamias renards
Mais l’aube poussière jaune rosée fraîche
Souffla l’étrange
Et voilà que les fleurs
Osent s’ouvrir
Un peu petite hésitation
L’effluve du monstre persiste
XXVI
Dans le ciel enténébré
Il faut peindre pour chaque oiseau
Une étoile une lune
Et des bêtes inconnues
Venues du monde de l’enfance
Afin que le monstre
Demeure dans son antre
XXVII
Ciseau clou crochet cadenas
Tu violentes les corps morts
Pour trouver l’origine de la vie
Mais c’est lorsque tu suspends un instant ton geste
Lorsque tu oublies tes armes
Que tes mains palpent l’essentiel
Les oiseaux comme des aurores boréales
Leurs âmes s’incrustent en toi
Légèreté
XXVIII
À la lueur des chandelles des aubes des crépuscules
Tu pries sans mot
Rosa
Auréolée de douceur
Tu t’enveloppes dans les fougères
Tu observes le temps s’effilocher la voûte s’agrandir
Oui il y aura suffisamment d’espace pour Rosa
Lorsqu’elle déploiera ses ailes
XXIX
Malgré l’orage à venir
Des oies folles amoureuses
Tu les envies un moment
Tu sors sous la pluie
Et soudain
Tu comprends comment faire pour voler
Ça tonne au loin ça tonne
Mais tu es prêt
À te joindre aux oies
À fixer toutes les déchirures
Des ailes s’enracinent à tes os
Et tu t’élances
Firmament flambé
Homme oiseau
XXX
Pour chaque fin
Quelques lys une poignée de terre une petite croix
Et le souvenir d’une vie
Gravé dans ton cœur
Qui prend son envol
Comme une oie
Belle ensauvagée