Morgue de Québec
15h23
J’entre

Ju,

Je t’ai vu aujourd’hui.

Ta peau sous vide comme un Tupperware oublié dans le frigo. T’étais déjà juste une chair d’homme. Un chemin de corde sur la poitrine, mon putain de chemin de croix avec des épines. Tu détesterais porter le col en « V » douchebag style qu’ils t’ont tracé.

Ils t’ont bien bodybuildé, t’aurais dû voir ça. Du grand art. Un détroucoeurage pour t’insensibiliser à tous ceux qui restent derrière. L’espace vacant calfeutré aux injections d’aromates mortuaires. T’es prêt pour les hivers en pergélisol. Et moi pour une visite chez ton thanatopracteur. Il pourra peut-être patcher les vides que t’as laissés avec des retailles de toi.

Moi qui voulais te voir une dernière fois, mais il ne reste qu’une enveloppe sans adresse de retour. Et deux monts vides au milieu du visage avec l’inexpression de circonstances. Maintenant, tes lèvres en signet, la fin perdue avec la page. Comment croire qu’hier encore nous pouvions inventer le récit de tous les demains à venir?

Comment croire qu’hier t’avais encore ta peau sur le dos.

 

 

Complexe funéraire
10h34
J’attends

Julien,

Ton absence remarquée, pendant que ton double, allongé dans une boîte d’Habanos, attendait d’être pleuré. Et lui, poker face dans ton beau smoking aux teintes noirs-stries sur ta froidure. Pétard mouillé, plus viable.

La colère en granit dans la gorge comme ancrage pour ne pas oublier la file de mains tendues, de manches ajustées, de pieds cirés. Et toutes les faces-grises qui me regardaient sans qu’on se comprenne.

Esti de funérarite aiguë qui murmure les adieux. Moi, c’est en criant que j’veux te demander la raison de ton silence. T’enfoncer tes Mach 3 Turbo dans l’ventre, te trouer le cerveau avec ta perceuse, celle qui devait te servir à nous bâtir. Vas-tu souffrir toi aussi? Me supplier d’arrêter? Vernir les lattes du plancher de ton overdose de sodium, un océan Pacifique dans notre salon?

Hurle, crie, venge-toi, haïs-moi! Mais reste pas couché dans ta criss de caisse de bois!

 

 

Cimetière Notre-Dame-de-Belmont
13h45
Je pars

Cher Julien,

Un mois que t’es plus là. J’ai fait passer les nuits à coup de Sambuca flambée en jouant à la bascule-solo.

T’imagines pas combien d’fois le béton m’a rattrapée.

Notre appartement comme un gratte-ciel sans rampe et une soudaine envie de bungee. Je pense que je vais déménager.

Le docteur m’a citalopramisée, anti-déprima-dopée. Une pilule rouge pour continuer, une bleue pour le black-out du repos médicamenté. Avec un goût de cenne au réveil. C’est toujours mieux qu’un goût de rien.

Ton voyage aux pieds des vagues d’outre-temps m’appelle au gré des matins pluvieux. J’pensais plutôt commencer par la Colombie. C’est l’été là-bas. J’arriverai peut-être à faire revivre le sang de mes pieds gelés en ton absence.

Au printemps, j’reviendrai en sol québécois pour te dire « Hey! Ça va. »

Caro