[information]Ce texte a été écrit dans le cadre du cours Écriture de fiction I (roman), donné à l’Université Laval par Gabriel Marcoux-Chabot à l’automne 2014.[/information]

PROLOGUE

Je me réveille et, tout de suite, je sors de mon lit. Mon corps, lui, reste étendu. Je me vois assoupi, allongé sur le dos, paisible. Au lieu de m’en étonner, je ressens une impression bizarre, comme si je m’étais déjà retrouvé dans cette situation. D’abord je ne fais rien. Il me faut quelques minutes pour apprendre à contrôler les mouvements de mon esprit. Je me sens capable de me déplacer à mon aise, sans toutefois pouvoir toucher quoi que ce soit directement.

Je suis là et je ne suis pas là.

Je me trouve dans ma chambre. Je reconnais mes meubles, mes tableaux aux murs. Pourtant, quelque chose ne va pas. Je glisse vers le couloir : même chose. Les photos sur les murs sont des photos de ma famille, de moi. Mais, quelque chose ne va pas. Je me sens étranger dans ma propre demeure.

Je prends conscience d’un phénomène que je n’avais pas identifié jusqu’alors.

La maison me paraît vivante.

Du moins, elle me semble mue par une force qui ne devrait pas habiter l’inanimé. Les fenêtres plongent leur regard glacial jusque dans les profondeurs de mon âme, me condamnant de leurs yeux froids et austères, de ces yeux qui en ont jugé d’autres avant moi. Les murs vibrent doucement, respirant d’un souffle intangible, battant au rythme incessant d’un cœur invisible. Lentement, ils tentent de se refermer sur moi, de m’enserrer, de m’emprisonner à l’intérieur de leur enceinte ancestrale. L’atmosphère se fait lourde, à un point tel que j’arrive presque à la distinguer, étendue comme un voile, habillant la maison d’un manteau de mort.

Bien vite, je me sens étouffé. J’essaie de crier, mais aucun son n’arrive à sortir de ma gorge. J’essaie de courir, mais ma forme astrale m’en empêche.

Je suis englobé par la noirceur.

***

Dans ces limbes, le temps s’écoule à un rythme qui lui est propre. Toutes traces de temporalité ou de chronologie s’estompent. Mon esprit, de son côté, se fissure rapidement. Je me désagrège. Je flotte dans l’air et me blottis contre l’énergie de la maison. Ce que je suis – ou à ce que j’ai été – se fusionne à celle-ci et soudain, tout me semble moins lourd. Je deviens la maison. Ses grandes fenêtres deviennent mes yeux, ouverts sur une rue paisible. Les murs se mettent à battre au rythme de mon cœur.

Puis, une vague de panique m’envahit. Au départ, je ne ressens que les traces floues de ceux qui ont un jour marché dans les couloirs de la maison. Après quelque temps – quelques secondes ou quelques siècles, impossible de le savoir – elles deviennent plus nettes et j’arrive à percevoir les émotions de ces personnes, leurs inquiétudes, leurs espoirs. J’accéderai bientôt à des parcelles de leurs vies, à des fragments qui se sont imprimés sur les parois de la maison. Les murs ont agi comme des éponges pour capturer l’essence de ce que d’autres ont vécu.

De ce que certains ont fait.

Ma terreur grandit avec le temps qui passe. Je commence à me sentir complice d’événements horribles, comme si j’étais impliqué dans les actes qui ont profondément blessé la maison. Comme si j’étais responsable des événements qui l’ont fait souffrir.

Je me sens rongé par les dents pourries de la culpabilité alors que des images se bousculent devant mes yeux.