[information]Ce texte a été écrit dans le cadre du cours Écriture de fiction I (roman), donné à l’Université Laval par Gabriel Marcoux-Chabot à l’automne 2014.[/information]

Chapitre I

Elemir écrivait. Des piles de rapports s’entassaient sur son bureau. Il soupira. Son regard erra par-delà les fenêtres. Du haut de sa tour, il voyait la capitale du royaume d’Ithan. La fin du jour embrasait la ville. Le soleil onnait une couleur d’or aux bâtiments.

Il déposa sa plume. Il avait commencé à travailler avant même que la noirceur matinale ne cède sa place à la clarté. Elemir se leva tranquillement, puis ouvrit l’une des fenêtres. Il lui sembla rcevoir des bruits portés par le vent. Un regard en plongée lui permit de voir un petit groupe de visiteurs. C’était cela qu’il avait entendu : des rires d’enfants.

Son cœur se serra. Comme cela devait être bien de vivre dans une telle insouciance, de n’avoir aucune responsabilité. Personne n’attend que vous soyez le meilleur, le sauveur, le faiseur de miracles.

À son jeune âge, les enfants ne l’approchaient pas, car on le leur interdisait. Seuls quelques enfants qui venaient à sa demeure familiale avaient le droit de jouer avec lui. Chaque fois, cette compagnie l’exaltait. Hélas, cela finissait toujours de la même façon. Dans les jeux de rôles, il avait systématiquement celui du prince, ce qui l’ennuyait. Les enfants devaient faire attention de ne pas le blesser, comme s’il était fait de verre. Peu devinrent ses amis.

Un sourire orna ses lèvres alors qu’il se souvint de ses cousins, les enfants de Pandora, la sœur de son père. Sa tante s’était mariée à un militaire qui possédait le titre de commandant suprême du royaume, Hector.

Ses cousins s’ennuyaient aussi dans leur solitude. Était-ce parce qu’ils possédaient un étroit lien de parenté ou qu’ils avaient grandi ensemble que ses cousins l’avaient toujours considéré comme un égal? Dans leurs jeux, il pouvait interpréter les rôles qu’il souhaitait : le soldat, l’écuyer ou le palefrenier.

Puis sa cousine était venue. Elle avait recherché protection et confort auprès de lui.

Ces années avaient été trop courtes. Hector avait délaissé son titre. Il était retourné habiter dans sa région d’origine avec sa jeune famille, dans l’ouest du pays, à la Cité. Depuis que Pandora, Hector et leurs trois enfants étaient partis, leur absence lui pesait terriblement. Il avait revu quelques fois son oncle et ses cousins, mais seulement dans des contextes formels. Sa cousine lui avait écrit des lettres. Qu’aurait-il pu lui dire? Qu’il était malheureux de leur départ? Qu’ici, ses parents étaient toujours trop occupés pour jouer avec lui? Qu’il se devait de se surpasser pour attirer leur attention? Puis, à mesure que le temps passait, il avait compris que d’énormes responsabilités accablaient ses parents, surtout son père. Sa mère pouvait se permettre des moments avec son fils. Rien ne lui enlèverait ce droit.

Elemir posa sa tête sur le cadre de la fenêtre, le regard tourné vers le ciel qui s’assombrissait. Son enfance avait subi un parcours diamétralement opposé à celui d’une personne appartenant au peuple, en raison des nombreuses connaissances qu’il se devait d’acquérir, et des compétences que son rang lui requérait de maîtriser. Contrairement aux autres enfants, il n’était jamais allé dans un établissement scolaire. Il avait eu ses instituteurs privés. Il était seul.

Un coup discret à la porte le força à quitter ses lointains souvenirs.

— Entrez.

Sa voix était profonde. Une douceur égayait son timbre. Un valet entra. Tous les soirs, des chandelles éclairaient la somptueuse pièce. Comme à l’habitude, le valet en allumait quelques-unes, suffisamment pour faire disparaître la noirceur qui obscurcissait peu à peu la salle. Pendant ce temps, Elemir ne pouvait s’empêcher de regarder le ciel.

Il attendait. Il savait qu’il les entendrait. Ses yeux fixèrent durement les étoiles, seuls témoins de sa mélancolie.

— Mon prince.

Ces deux mots qu’il s’était mis à aimer et à haïr.

Ces deux mots qui réduisaient son existence à cette fonction.

Ces deux mots qui lui donnaient le pouvoir, et qui lui enlevaient la liberté.

— Que puis-je pour vous? demanda-t-il gentiment.

— Le repas sera bientôt prêt. Vous êtes attendu.

— Est-ce que le roi et la reine seront présents?

— Ils le seront.

Elemir sourit, puis son regard se tourna à nouveau vers le firmament. Le valet prit le silence du prince pour son congédiement. Il sortit après une révérence.

Cependant, la porte ne se referma pas. Elemir fronça les sourcils. Son visage s’éclaira dès qu’il aperçut Kalhos.