Il y a depuis longtemps tant de contradictions en moi.

Je déteste et j’aime mon enfant. Je sais qu’à travers cette confusion, c’est beaucoup moi que j’aime et que j’haïs.

J’ai la sensation de porter la mort autant que la vie en moi.

J’ai pris la pilule du lendemain, j’ai bu du vin, fumé, mais il est resté là. Je sens sa force, sa chaleur dans mon ventre. Je l’aime sans réserve, mais ça ne m’empêche pas de renoncer à lui. Je n’attends qu’une chose de lui : qu’il n’existe pas hors de moi.

Je garderai un enfant invisible, idéal, inventé, multiple et parfait. J’en deviendrai peut-être aussi folle que Martha dans Qui a peur de Virginia Woolf ?

Mon non est solide et catégorique.

Je nous protège tous les deux des humiliations et des imperfections dans lesquelles nos rôles nos enfermeraient.

(Je devrai les nommer, ces humiliations, ces imperfections.)

Je me glisse dès que je le peux sous la douche. Je laisse couler l’eau brûlante sur moi, longtemps, jusqu’à m’effacer.

*

Je n’ai pas su vous transmettre le goût d’avoir des enfants.

À ma mère qui nous a lâchée cette phrase, à ma sœur et moi, à la fin d’un souper de famille, quelques années plus tard, et qui avait l’air si triste, je répondrais de ne pas en faire une affaire personnelle, que ni elle ni aucune autre femme ne m’a donné cette envie-là ; qu’il est difficile d’expliquer à quelqu’un d’autre ce qu’on a du mal à s’expliquer à soi, que l’amour des enfants n’a rien à voir là-dedans, mais que les coups durs viendront de toute part, tout au long de la vie, et qu’il m’est impossible de m’imaginer dans une situation de si grande vulnérabilité, à savoir, être une mère.

(Je trouverai bien une façon de plonger dans ma relation avec ma mère. Je chercherai le chemin de l’amour imparfait, de l’enfance à ramancher.)

*

J’aime m’assoir dans les parcs et regarder les enfants jouer.

(Ne pas avoir d’enfant garde l’enfant vivant en moi.)

Je tombe dans la lune. Mes yeux se posent sur les parents, débordés, occupés, qui font leur social tout en restant à l’affut. Leurs gestes me sont inconnus, tout comme leur fatigue et leurs emmerdes. Leurs joies me sont inconnues. C’est un film que je regarde. Je pourrais rester là des heures. Et quand je suis rassasiée d’enfance, je me lève, je quitte le parc, les mains dans les poches, absolument libre, soulagée de m’appartenir.