ALYCIA

 

je n’ai pas de pays

je n’ai pas de pays je n’ai qu’un corps

je n’ai pas de pays je n’ai qu’un corps et je ne sais pas m’y asseoir

 

je sors

 

de tous temps je fuguais         vous ne remarquiez pas          maintenant vous voyez car je pousse la porte

 

chiffon tordu par toutes les mains     je venais au monde par secousses

 

je sors

 

fondre mes chairs dans la chaleur d’une matière meuble      un air pesant et surpeuplé où je ne trouve pas écho m’invite         j’ouvre la bouche               libère mes remugles anciens

 

ROSALIE

 

Tracer une ligne droite depuis la porte jusqu’au bois, pas besoin d’ouvrir les yeux, le cœur sait où il va. Partir la respiration courte, le pas fluide. Partir en ligne droite, cette trace mémorielle ancrée dans la chair commande le déplacement.

Le pied embrasse le sol, ouvert à la rencontre. À chaque pas, enracinement, déracinement. Fouler le sol, les épaisseurs de sapinage, espérer trouver quelque chose au tournant de l’arbre.

D’abord, il y aura le silence. Une fange de silence lourde comme du tissu empesé. Un silence épais à tâter avec les doigts comme de la mousse odorante dans la clarté de la lumière.

Le soleil oblique perce les épinettes. À gauche, la trace furtive d’un lièvre. Devant, une baie rouge, tache de sang parmi les lichens.

 

CHARLOTTE

 

J’ai le nez finement senteur en muqueuses distillées

Délicatement élancé par-delà mes envies soudaines

Dans sa tentative de déceler la particule évanescente

En errances convulsives sur le courant des églantines

Dans la rapacité de mes fantaisies chryséléphantines

J’ondoie verdoie vers la destinée encensée

À la croisée transversale du cataclysme olfactif

De l’éclatement emphatique des sens

Et de la succulence nimbée des odeurs chorégraphiques

 

Il est temps maintenant    que vous veniez voir

Ce que nous

enfants chairs précieuses des aveuglements

enfants grands yeux magiques des hiboux

aux globes de feux stridents

aux aguets des mouvements immatériels

aux illusions monuments plus vrais que le réel

dansant hélicoïdal dans le limbe de l’obscurité

pour capter ce qui surgit en ornements de mystère

sur un plateau     assortiment de trésors curieux

il est maintenant temps     que vous veniez voir

ce que nous échouons irrémédiablement à vous expliquer

doigts pointés vers l’éternel des voyages imaginaires

 

Venez voir dans les forêts     les bougies qui gonflent volcans verts

Venez voir dans la bouche des crapauds     les cascades de billes phosphorescentes

Venez voir les lucioles qui dégringolent     sur le toboggan des coassements

Venez voir dans le pollen des fleurs     les soleils globulaires agglutinés

Venez voir dans les guirlandes de lichens     les iris d’épines rieuses

Venez voir les floricoles empalés à des fils de soie     suspendus aux branches des séquoias

Venez voir les taons tousser des nuées de pissenlits

Voici venir les cellules du ciel qui prolifèrent en neige   blancheur pastorale

Venez voir ce qui dégouline par enjambées diluviennes dans les interstices astraux

Venez voir l’ensoleillement lointain perdre de son éloquence poétique

Venez voir à l’aube de la noirceur    si vous y trouverez ce que vous étiez venu chercher

Venez voir au crépuscule du décan    si vous y chercherez ce que vous étiez venu trouver

Voici venir la fin de ce que vous auriez dû venir voir plus tôt

Me voici partir loin de vous    en susurre de baies sauvages

 

ROSALIE

 

il y a des pays

où la peau parle l’inconnu

chuchote des lieux de voyage

où les fleurs

sont les phares pour l’avenir

les rêves ordinaires nous traversent

nous renversent

sans mots

la bouche emplie par leur saveur

en phase avec l’avenir

je visite les lieux de nos enfances

clarté de mémoire au fond des archives

 

KRYSTINA

 

la transparence des algues me perce

je me vois

 

embryon de femme de soie fripée

pans de peau pâle

qui semblent culbuter de faim

 

morsure angoissante du temps

différentes promesses de décomposition

 

la mer ne ment pas

il y a des

fantômes collés sur les tempêtes de mon corps

coquillages

esquisses d’organes défectueux

 

création osseuse

 

doigts rouages

trempes

 

ventre rocailles

 

j’entends la pénombre entre mes côtes

dans mon mince habitat de cavale

médaille de malade

grise poussière de chair

 

momie morte-vivante dans un univers de sécheresse

assise devant son avenir         thé trop infusé

 

je saigne des débris dans l’eau noire

illimitée

 

SARAH-JANE

 

nous fuirons ces quatre murs

la folie de la marée basse

 

nous n’habitons plus

la stabilité

 

une vague s’est fracassée

en mon ventre

comme un cri de détresse

 

nous devrions croire

la mer

 

ici nos écailles tombent

une à une

 

chair écarlate

d’une vulnérabilité

sourde

 

– on m’a forcé les souliers au berceau –

 

alors je rampe sur l’asphalte

m’effondre de rochers en rochers

à toutes les saisons

 

je suis née d’un langage inconnu

d’une compassion incrustée

 

comme des fleurs

qui auraient poussées

dans mes côtes

à la naissance

 

nous sommes poupées des eaux

nous nous abreuvons à même les égouts

ne crachons rien

la bouche serrée

 

avec le temps

on devient pâle

un nous-translucide

 

mon entité en morcellement

je n’ai plus confiance

en mes solitudes

 

CHARLOTTE

 

Contemplez la rivière se plier en quatre

Et au loin la trajectoire du train qui bout

Le monolithe qui dérange frôle mon visage

Le gisement calfeutré est en fuite

Contemplez maintenant

Le son de l’eau qui revole sur l’échine fragile

Le caillou qui nage dans les encyclies du ciel

Contemplez le pouls des nuits se diluer dans l’œil des forêts

Les branches qui chatouillent le seuil de mes synapses quantiques

L’éclipse éventrée qui dégouline jaune d’œuf sur la verticale

Et qui cuit sur la poêle galaxie héliaque

Asseyez-vous près d’une cascatelle

Contemplez l’idée saugrenue qui saute hors de l’eau

Qui gambade par petits pas d’illusion sauvage

Installez-vous septentrional

Couché dans l’une des 653 340 001 positions acrobatiques de l’esprit

Pour contempler les alentours

Et si rien ne vous capte

C’est signe qu’il vous faudra changer de position

 

ALYCIA

 

je sors

 

me plier en deux comme une longue feuille             mes hémisphères se déposent l’un contre l’autre dans un soupir

symétrie

 

mes tensions parasites désertées

je sors             cogner mes os aux choses douces        teindre mes souvenirs de couleurs neuves

 

je ne suis pas fille je ne suis pas écorchure

je ne suis pas celle qu’on abîme celle qu’on pille je ne suis pas celle

 

je ne suis pas celle

 

je suis le froid sur la peau

je suis le vent contre l’œil

 

KRYSTINA

 

mot inconsolable

 

achèvement de plaisirs

 

parfum de tornade de mes origines

cadavres de mes proches ficelés par les vagues

 

les âmes que je traîne sous mon crâne

d’égoïstes recrudescences

m’enlacent de leurs cendres

 

oiseau égorgé d’eau je

me désagrège

suspends mes poumons

je

flotte dos déraciné sur un

bateau tombeau aux courbures du vide

troué de soupirs et bruissements d’espoir

au goût fissures de ciel

 

regret de muscles

terre de restes noire

 

recracher la

poussière d’océan de mes plèvres

me découvrir

muer

 

me départir d’un sol de mille morceaux de peau morte qui gisait sur

moi     accepter mon dark side

 

jouer à la reine et me faire avoir par la vie

 

rencontrer l’inhumain

comprendre que sont encore les hommes qui sont rois

peu importe où je décide de

fuir

 

ma maison est un trône

informe que je ne finis jamais vraiment de fabriquer

 

je la patch

déboire après déboire à travers

mes histoires de cœur sans

réelle histoire

 

parce que je décide d’en avorter les chapitres

 

j’ai trouvé mon chez-moi dans une amertume nuageuse aux

côtés de gros cumulonimbus au bord de la noyade

 

ROSALIE

 

il y a ces gens à qui je ne parle pas

qui disparaissent sous mes doigts

 

regard accidentel

 

je rêve de mains qui se posent sur mon corps

 

février ressemble à novembre

les soirs de pluie dans la Guillotière

des femmes s’enfuient dans le métro

 

combien d’hommes dans ce pays

glissent sous le regard des autres

leurs yeux qui voient tout

mais personne pour les sentir

à fleur de peau

 

ALYCIA

 

je sors

 

m’extraire

 

laisser le soin à la terre de me dissoudre

distiller l’essentiel de ma pulpe

 

aux grands vents dispersés ne subsistent que mes os

 

CHARLOTTE

 

Nous irons là où il faut aller

Vers l’éphémère des voyages imaginaires

Nous serons allumeurs de réverbères

Nous ribambellerons les circonvolutions de l’art

Nous porterons à nos cous des perles de délire

Des diadèmes qui luisent dans le sommeil de nos rétines

Et nos visages cristalloïdes en seront éclaboussées

De cette peinture de plantes    de capucines grimpantes

Substance irrationnelle     spinelles dans la cervelle

Et ce sera notre vengeance silencieuse au vol des tourterelles

Nous qui sommes fourmis vagues dans le ciel

Patinant sur l’huile lactée de nos intuitions

C’est par là que nous irons!

 

SARAH-JANE

 

laisse-moi entrer       je te dis de m’ouvrir      de recracher la clé que je gardais sur moi

par sécurité         laisse-moi entrer          je ne veux plus être une inconnue

en ma propre demeure          je ne sais plus comment ni pourquoi j’habite ici     pourquoi

je continue d’emprunter les chemins qui me mènent jusqu’à moi

 

je ne me m’ouvre plus depuis longtemps     la clé erre au fond de ma gorge

et je n’ai plus accès au confort

 

je suis une inconnue rien ne sert de regarder dans l’œil de ma porte          tu n’y verras

qu’une ombre de quelque chose qui t’appartenait        mais ouvres-moi malgré tout

prends la chance de te perdre dans l’abstrait de mon corps en croquis

 

aucune raison valable de m’ouvrir me vient à l’esprit       je suis arrivée

et déjà repartie

 

croyais-tu un jour devoir faire un double de ta survivance

 

tu es la carcasse de ton passé         tu es un colis à revirer d’bord

à la mauvaise adresse de ton présent    comment oses-tu te tenir devant moi

me demander de t’ouvrir

 

je pourrais te cracher au visage pour voir si tu ressens encore

 

étais-tu partie comme on laisse un berceau sur le perron d’un étranger

avais-tu planifié revenir pour comprendre     pour regretter     pour supplier

quitte le seuil de ma porte et n’ose plus revenir     je ne veux plus

apercevoir ta détresse

ne reviens que si     un jour    tu deviens méconnaissable     une œuvre d’art

une merveille du monde    une photo qu’on garde en souvenir

 

laisse-moi entrer       je te promets de ne plus repartir