La marginalisation, phénomène résultant d’un déséquilibre sociétal, touche différentes sphères de la vie organisée, et le milieu littéraire n’y fait pas d’exception. Au fil du temps, l’industrie du livre au Québec a mis en place une structure de fonctionnement qui tend à ignorer inconsciemment, mais presque systématiquement celles et ceux qui, minoritaires, peinent à accéder à la « professionnalisation » et à la reconnaissance qui en découle. Parmi ces personnes, on retrouve celles appartenant aux communautés autochtones et LGBTQ+, mais aussi certaines immigrées, qui le sont en raison de leur statut légal au pays. C’est sur ce dernier groupe dont j’ai déjà fait partie — qui est d’ailleurs l’un des plus méconnus du grand public, voire des acteurs du milieu — que portera ce texte.

Je me demande pourquoi le milieu de l’édition au Québec n’accorde pas la même place à toutes et à tous les écrivain.es. Une réflexion s’impose en ce qui concerne l’origine des politiques et leur impact sur les autrices et auteurs détenant un statut de résidence temporaire. PEN International et P.E.N.-Québec ont déjà fait quelques pas dans la bonne direction, particulièrement en adoptant une déclaration dans laquelle les traductrices et traducteurs se manifestent comme « défenseurs de la diversité linguistique et culturelle » et qu’ « [elles et ils] s’engagent notamment auprès des auteurs de l’ombre, des styles et des groupes marginalisés[1] ». Bien que le débat public soit essentiel pour sensibiliser la communauté littéraire sur ces enjeux, des actions concrètes sont nécessaires si l’on veut changer les mentalités dans le milieu littéraire et promouvoir de nouvelles politiques plus inclusives. Je pense notamment à une révision des politiques gouvernementales en vigueur, des clauses administratives ou encore des démarches bureaucratiques qui conditionnent l’accès aux subventions éditoriales.

Je cherche à comprendre pourquoi sur les sites Internet, plusieurs maisons d’édition québécoises affichent des messages comme : « pour des raisons administratives et logistiques, nous n’acceptons pas les projets d’auteurs domiciliés hors du Canada ou qui ne seraient ni résidents permanents ni citoyens canadiens »; « si vous avez la nationalité canadienne, vous pouvez nous faire parvenir votre manuscrit » ; « il nous est malheureusement impossible de publier des auteurs étrangers sauf dans le cas d’une coédition ». Je m’interroge aussi par rapport à l’inclusion de clauses dans la plupart des prix et concours stipulant que les participantes et participants doivent avoir la résidence permanente ou la citoyenneté canadienne, au lieu de démontrer qu’elles et ils ont un domicile au pays. Avec de tels critères, les étudiantes et les étudiants étranger.es, les travailleurs et travailleuses temporaires et les demandeurs et demandeuses d’asile se retrouvent automatiquement mis.es à l’écart, même s’il s’agit de personnes dont le statut légal est en règle et qui contribuent, depuis plusieurs années pour quelques-un.es, à enrichir, à diversifier et à rendre dynamiques la vie culturelle et l’économie du pays.

Or, il ne faut pas oublier que l’écologie du milieu littéraire est fondée sur l’inclusion de toutes les voix, effervescentes, afin de stimuler les échanges et les collaborations. C’est dans cette optique que la charte de PEN International retrouve sa valeur, car ses principes sensibilisent la population aux problèmes de sous-représentation et encouragent la possible modification d’un bon nombre de pratiques littéraires, favorisant ainsi la bibliodiversité.

 


 

[1] Déclaration de Québec sur la traduction littéraire, les traductrices et les traducteurs, accessible en ligne : https://penquebec.org/nuit-blanche-magazine-litteraire/ [consulté le 6 août 2022].