C’était la nuit, et ils se trouvaient quelque part en Sibérie. Treize hommes, tous orthodoxes, sauf un, préparaient un campement pour les prochains jours. La température frôlait les –25 degrés Celsius, et les doigts du groupuscule en souffraient. S’il faisait juste un peu moins froid, les hommes auraient peut-être remarqué les centaines d’étoiles brillantes au-dessus des pins.

Ils étaient maintenant perdus depuis plus de trois semaines dans ce méandre de glace, de neige et d’arbres blancs. Outre quelques lièvres capturés par des collets artisanaux, ils étaient désormais étrangers au geste de mâcher. Le bruit de l’eau coulant sous ces mètres de glaces cachait toutefois bien le son des gargouillis.

Personne cependant ne se plaignait, car, à cette température, des larmes auraient brûlé leur visage.

Une fois la tente installée, les hommes s’y regroupaient, s’échangeant ainsi ce qui restait de la chaleur humaine, se dégageant timidement de leurs maigres corps. Et, comme depuis la première nuit de leur égarement, le plus petit des hommes débutait la lecture de plusieurs passages de l’Ancien Testament.

Durant un long moment, les autres hommes répétaient après le petit, à la manière d’une chorale. Seul le plus grand de la compagnie ne faisait pas partie de cet échange sacré. Cet homme, le plus fort de tous, murmurait, comme à son habitude, des prières qui ne semblaient pas provenir de l’Église orthodoxe. D’ailleurs, aucun des compagnons ne s’était déjà intéressé aux croyances de ce costaud.

Toutefois, durant cette soirée, le grand homme murmurait d’une façon plus forte, plus marquée qu’à son habitude. Changement provoqué par leur odyssée, qui, au même rythme que la neige ensevelissant les pins, commençait à être calfeutré par une idée : celle de la mort, celle de l’oubli.

Les autres hommes, eux aussi à bout de patience, en furent lourdement frustrés. Ils cessèrent leur rite, et se regardèrent tous silencieusement. On entendait désormais uniquement le vent sibérique, se défoulant contre les épines gelées des conifères, ainsi que le murmure du grand homme.

Après un regard approbateur du petit envers les autres orthodoxes, chacun prit dans sa poche une petite dague, placée comme à l’avance, et pointa le grand. Celui-ci, concentré dans ses chuchotements, ne remarqua pas cette chorégraphie de ses auditeurs.

Et, par le grand froid qui régnait dans cette forêt, l’homme ne sentit même pas les onze lames qui s’enfoncèrent simultanément dans son corps gelé.

« Ceci est son corps, prenez et mangez ! »

Les douze hommes, désormais bien alimentés, remarquèrent, tôt le lendemain, un village situé près d’eux, ainsi que les centaines d’étoiles brillantes au-dessus des pins.