Adélaïde Herculine Barbin (1838-1868), surnommée Alexina par sa famille, est assignée femme à sa naissance. La médecine de l’époque s’intéresse à son cas, puisque son corps ne s’affiche ni vraiment masculin ni vraiment féminin. Dans sa vingtaine, après des examens médicaux révélant une présence masculine, elle est finalement déclarée homme. Barbin est contrainte de changer son identité (nom, état civil, etc.) ainsi que sa manière d’être et d’agir. Adélaïde devient Abel. Il rédige Mes souvenirs sous le prénom épicène de Camille ; récit qui retrace son parcours, ses amours et ses peurs, l’existence qui le domine et l’opprime. L’emploi grammatical – pour se désigner – passe du féminin au masculin dans le texte, et ce, malgré les ambiguïtés de l’énonciation. Sa détresse psychologique le pousse à se donner la mort à trente ans, laissant derrière lui un manuscrit inachevé. Le texte tombera entre les mains des autorités et paraîtra en 1874 dans la seconde édition de la Question médico-légale de l’identité d’Ambroise Tardieu : le spécialiste médicolégal ne publiera du récit que la partie qui intéresse son étude sur l’hermaphrodisme. À ce jour, le reste demeure introuvable.

En 1978, les mémoires de Barbin sont réédités sous l’autorité de Michel Foucault et ensuite repopularisés, en 1990, par Judith Butler dans la deuxième partie de son essai Gender Trouble, dans lequel la philosophe s’en prend à l’édition américaine du récit par Michel Foucault et au premier tome de l’Histoire de la sexualité (1976). Le personnage historique de Barbin intéresse aussitôt, aussi bien que son récit autobiographique. En revanche, nul ne semble concevoir le texte pour ce qu’il est : un récit, avec sa part de vérité (en raison du fait autobiographique), mais tout autant de fabrication (causée par le double travail de la mémoire et de l’imagination). Le récit est par principe considéré comme le témoignage d’une réalité historique par les spécialistes de la question du sexe et du genre.

 

Une chaîne de réceptions critiques hétérogène

Le cas Barbin est d’abord reconnu, en 1860, dans les Annales d’hygiène publique et de médecine légale par le médecin Hippolyte Chesnet, sous le titre « Question d’identité. Vice de conformation des organes génitaux. Hypospadias. Erreur sur le sexe ». Dans ce rapport, le nom de Barbin n’est pas dévoilé, mais apparaît sous celui de « Adélaïde Herminie » ou de « Alexina B. ». Dans la même année, en Charente-Maritime, Adélaïde devient Abel aux yeux de la loi civile et canonique. En 1874, six ans suivant la mort d’Abel, est publiée ce que le spécialiste médicolégal Ambroise Tardieu nomme « la partie vraiment intéressante des souvenirs du jeune B. » (Tardieu, 1874 : 159).

L’anonymat de Barbin sera préservé jusqu’en 1978, pour la réédition française des mémoires, et en 1980, pour l’édition américaine – préfacées par Michel Foucault et appuyées d’un dossier d’archives (comprenant les rapports médicolégaux de Chesnet et de Tardieu). Ces éditions comprendront également la nouvelle littéraire Scandale au couvent d’Oscar Panizza (écrite en 1893 et publiée en 1914), fortement inspirée des mémoires. Sur les couvertures, le philosophe français présente Barbin avec ce titre, popularisant par le fait même le pseudonyme qu’on lui connaît : Michel Foucault présente Herculine Barbin dite Alexina B. Avec la parution de Gender Trouble (1990) de Judith Butler, nous assumons l’identité « Herculine »[1]. Enfin, ce n’est qu’avec l’historienne Gabrielle Houbre, en 2020, que l’on voit apparaître le véritable auteur des mémoires, c’est-à-dire sous le nom au moment de l’écriture. Seulement avec le titre, Les deux vies d’Abel Barbin, l’historienne remet en contexte l’auteur et son récit.

Les mémoires passeront de main en main : religion, science, philosophie, sociologie, histoire. Du point de vue de la littérature, les souvenirs de Barbin ne seront guère considérés jusqu’à maintenant. Et pourtant, l’hétérogénéité des discours – incluant la fluidité du nom dans son emploi posthume – implique un discours littéraire : qui est Barbin, si ce n’est Herculine ? Au sens de la création littéraire, un défi de taille semble apparaître, dont le problème reste entier.

 

L’imaginaire, le mythique et la création

Dans le cadre du Forum étudiant interuniversitaire en création littéraire, j’ai tenté de concevoir, avec le philosophe Paul Ricoeur, que le monde-du-texte, « constitue une première médiation dans la mesure où ce qu’un lecteur peut s’approprier, ce n’est pas l’intention perdue de l’auteur derrière le texte, mais le monde du texte devant le texte » (2010 : 44). Avec Herculine Barbin, on semble parfois perdre de vue qu’on a devant soi un texte, avec un auteur et son monde. L’intention première de cette proposition n’a pas été de discuter les discours d’appropriation et de transformation qui traversent le récit de Barbin, mais de réfléchir, d’imaginer une présence humaine en tentant de construire un dialogue avec un texte du passé.

Barbin apparaît comme une « invention littéraire » aux yeux du sociologue Éric Fassin dans la postface de la nouvelle édition foucaldienne (2014), qui voit en cette invention une forme d’agentivité. Selon lui, Barbin mobilise la religion, la science et le système juridique au XIXe siècle « pour valider sa vérité » (2014 : 246). Si pour Michel Foucault et Judith Butler « la loi l’oblige à changer de sexe » (2014 : 244), Fassin ajoutera au contraire que « [c]’est leur auteur qui, de son vivant et au-delà, impose sa vérité au monde » (2014 : 245). À l’inverse, je propose ici de nous baser sur une production essentiellement posthume et saisir l’influence de la parole des autres. L’invention se manifesterait alors à travers les réceptions critiques et les différents discours qui les constituent, ainsi distribués par un imaginaire (social) axé autour de la sexualité, du corps et de sa marginalité.

Travailler avec Herculine sans Barbin[2] prendrait ici, en quelque sorte, les formes d’une expérimentation avec soi et l’autre, c’est-à-dire en distinguant les discours énoncés plus haut et le monde-du-texte. En tirant progressivement sur le voile entre le réel et la fiction, entre Herculine comme personnage extradiégétique – représentation idéologique ou symbolique, voire mythique au sens barthien[3] – et Barbin comme réel et étudié dans les domaines de l’histoire, de la sociologie et de la philosophie, il me semble nécessaire dans ce contexte de dépouiller ces identités de leurs contraintes discursives.

Cette approche s’inscrit dans un mouvement entre l’essai et la poésie, où l’essai tente de comprendre les différents horizons d’attente qui s’approprient « Herculine » et « Barbin », et où la poésie tente de réduire la distance entre le texte et le monde, prenant soin de ne pas imposer une vision à l’aide des outils actuels en analyse des discours. Nous devons, me semble-t-il, prendre nos précautions et limiter – dans la mesure du possible – la projection de nos rêves dans un « monde » déjà proposé et qui nous précède. La création pourrait servir à cette proposition : un contact entre deux voix séparées par la distance et le temps, mais aussi réfléchir – par l’action poétique – à l’édification d’une identité fluide, et littéraire, qui permettrait de représenter, voire positionner Herculine dans nos relations actuelles avec le réel. Ainsi, je veux m’intéresser à la part de fiction qui influence la chaîne des réceptions critiques.

 

Dialogues possibles

Selon le philosophe Paul Ricoeur, « la littérature et les arts ont peut-être une fonction permanente de scandale : en représentant le mal avec insistance, voire avec complaisance, l’artiste déchire l’image conventionnelle et hypocrite que les bien-pensants tentent de se donner d’eux-mêmes et ainsi l’artiste est toujours accusé de pervertir l’homme en abîmant l’image de l’homme » (1955 : 138-139). Le déplacement onomastique d’Alexina à Herculine, avec Michel Foucault, permet de voir avec un peu plus d’acuité cette hétérogénéité des discours et de l’imaginaire qui excède l’écriture. Dans ce contexte précis, Foucault prend position et met la table à la « postérité » (selon le mot de Barbin) : Herculine, comme personne, personnage ou auteur, dérange – au contraire du texte, soumis à l’interprétation et aux certitudes du lecteur. Sortie de son contexte, la figure auctoriale fait bouger les imaginaires, les idéologies, les structures à deux vitesses. Nous nous retrouvons à une croisée des chemins et les mémoires de Barbin semblent recontextualiser un affrontement symbolique qui ne dit rien de nouveau.

Les grands antagonismes des mémoires (science, religion et juridique), toujours au goût du jour, recontextualisent le XXIe siècle : le déchirement identitaire propre à « Camille » confronte notre rapport au monde. D’abord une question d’identité sexuelle, déclenchée par un malaise du genre, elle sera reconduite sous l’influence de son amour pour son amie Sara et son fervent catholicisme. La question est vite écartée au profit de la loi et de la foi, autant dans le récit qu’à travers l’intervention d’Ambroise Tardieu, en note de bas de page, qui ajoute le rapport complet du « bon docteur », nul autre que le médecin Hyppolyte Chesnet[4]. Ce passage précis, par l’usage du dialogue dans un cadre autobiographique, transporte la lecture sur un autre terrain : celui de l’autofiction. Ainsi le prophétise le bon docteur : « Franchement, me dit le bon docteur, votre marraine a eu la main heureuse en vous appelant Camille. » (Foucault, 2014 : 101) Les paroles mises dans la bouche du médecin nous éloignent de ce que Tardieu caractérise comme le document d’un « fait extraordinaire », notamment avec le choix du prénom épicène « Camille ». Mais pour le spécialiste médicolégal, « [i]l est difficile de lire une histoire plus navrante, racontée avec un accent plus vrai, et alors même que son récit ne porterait pas en lui une vérité saisissante, nous avons, dans des pièces authentiques et officielles que j’y joindrai, la preuve qu’il est de la plus parfaite exactitude » (Tardieu, 1874 : 62).

Dans un contexte de création, je me heurte à un double jeu de l’écriture : à la crainte et au désir de saisir un texte du passé au présent. D’abord, cette crainte de m’approprier Herculine en lui imaginant une vie psychique à partir de l’archive, comme l’ont fait par exemple Oscar Panizza avec Scandale au couvent (1893) et Armand Dubarry avec L’hermaphrodite dans Les déséquilibrés de l’amour (1898-1902). Ensuite, ce désir de comprendre pourquoi nous intentons au texte, et plus particulièrement à l’auteur derrière, nos « désirs les plus propres », pour reprendre une expression appréciée de Paul Ricoeur.

Dans Histoire et vérité (1955), le philosophe réfléchit sur la compréhension de l’œuvre d’art. Il dit, en prenant exemple sur Van Gogh :

En face d’une vision du monde qui a pris corps dans une œuvre, dans une chose, l’œuvre d’art, véhicule de communication ; et même lorsque ce n’est pas le visage humain qui est représenté, ce qui est véhiculé c’est encore une représentation de l’homme ; car l’image de l’homme, ce n’est pas seulement le portrait de l’homme, c’est aussi l’ensemble des projections du regard de l’homme sur les choses.

Ricoeur poursuit en disant que « toutes ces images de l’homme sont incorporées à nos relations interpersonnelles ; ce sont des médiations silencieuses qui s’insinuent et s’intercalent entre les regards que deux êtres humains échangent » (1955 : 138). Il pourrait ici s’agir d’une dialectique entre le texte et le lecteur où pourrait s’insérer la représentation humaine, suscitant un imaginaire social propre à elle. Dans le cas de Barbin, nous pourrions le voir à travers une identité fluide dépassant le simple cadre de la sexualité. Bien que l’on sache désormais l’identité réelle de l’auteur (Abel), on s’entête à utiliser l’usage foucaldien (Herculine) et on semble rejeter Alexina et Camille, telles des images ou des identités secondaires.

Conçue ici comme un échange, la création pourrait produire une médiation fictive entre ces identités et offrir des lectures représentant l’intime des uns et des autres. Il me semble que les différentes images d’Herculine soient d’abord formées de notre expérience de lecture : d’une part avec « Camille » dans les mémoires et, d’autre part, avec le flou identitaire « Barbin » à travers les lectures de Foucault (1978), de Butler (1990), de Fassin (2014), de Houbre (2020) et, plus récemment, de Julien Marsay (2024). Le dialogue m’apparaît impossible si Herculine et Barbin restent indissociables. Le dialogue possible serait alors cet échange de regards dans lequel s’insère le texte, l’image et enfin l’expérience comme médiations herméneutiques. S’il peut y avoir dialogue, ce serait particulièrement par le devenir d’une relation entre expérience et monde-du-texte, puisque c’« est à travers des images de l’homme que se poursuit cette requête d’estime mutuelle ; et ces images de l’homme font toute la réalité de la culture » (Ricoeur, 2010 : 138). C’est ainsi que Ricoeur rapporte la perspective de « réalité objective » au sens d’esprit objectif chez Hegel. Le récit pourrait servir l’échange ou le dialogue dans la création.

Cette position tente tant bien que mal de ne prendre aucun parti, du moins au point de vue de la recherche-création. Elle tente plutôt de saisir des phénomènes de compréhension du langage et de l’expérience de l’autre par le langage. Il s’agit, à ce stade de la réflexion, de passer par la description des différentes relations au réel influencé par les discours constituant les réceptions critiques, c’est-à-dire mettre en doute les certitudes qui agissent sur notre lecture des mémoires. Je voudrai dépasser, grâce à la création, le simple fait historique et montrer la fiction autobiographique à l’œuvre.

 

De l’expérience à l’expérimentation (de l’autre)

Toujours selon Ricoeur, « la recherche de l’auteur est une enquête terminable qui s’arrête à la détermination de l’agent, généralement désigné par son nom propre : “Qui a fait cela ? Un tel” » (2010 : 58). Il doit donc y avoir séparation objective de soi et de l’autre, et non pas de l’expérience propre à chacun. Dans le cas Barbin, cette recherche ne devrait pas se terminer avec la découverte du personnage historique, mais d’admettre que l’identité – textuelle et réelle – est fluide. J’y vois la possibilité d’une expression de soi à travers la parole de l’autre ou un jeu avec l’expérience de l’autre, mais qui présente le risque du lecteur et de la lecture.

Dans la même idée, le philosophe précise que « la recherche des motifs d’une action est une enquête interminable, la chaîne des motivations se perdant dans le brouillard des influences internes et externes insondables » (2010 : 58). L’enquête qui est la mienne pourrait aussi bien tendre à lier le sondable et l’insondable, motivant en retour la parole créatrice ou créative et présentant l’enjeu de l’interprétation par le biais d’un dialogue impossible ou le risque de faire coexister deux mondes. Ricoeur conclut en ajoutant que cela « n’empêche pas toutefois que nous reliions l’enquête interminable des motifs à l’enquête terminable de l’agent » et que c’est « en fonction du réseau entier [que] nous comprenons l’expression : agent » (2010 : 58). Cet agent, dans un contexte de création, pourrait-il être Herculine ? Pourrait-il être le produit d’un imaginaire ?

L’expérience qui semble manifester la persona de l’auteur, Abel Barbin, nous apparaît dans les derniers fragments autobiographiques choisis par Ambroise Tardieu (1874 : 159-174) : celle d’une âme tourmentée, qui n’est pas sans montrer un lyrisme dans l’écriture, appelant à ce scandale de la littérature évoqué plus haut par Ricoeur. De fait, ce passage l’exprime bien : « [C]’est l’oasis embaumée, où se réfugie mon âme blessée par d’orageuses luttes. Aujourd’hui j’envisage avec calme la sombre perspective de mon implacable destinée. » (Tardieu, 1874 : 163) L’auteur semble avoir recours à l’émotion, aux sentiments sur sa condition sociale. Barbin s’éloigne alors brutalement de son projet annoncé dans l’incipit : celui de raconter l’histoire de son « éloignement instinctif du monde » (Tardieu, 1874 : 63) dans ses faits les plus vérifiables, aussi fidèlement que possible. Il me semble alors qu’on a réellement accès à l’expérience de l’autre qu’à travers ce que Ambroise Tardieu nomme « une suite de plaintes et de déclamations contradictoires » (1874 : 159).

 

Du récit à la poésie

Ma proposition tire son origine d’une question : comment faire l’expérience de l’autre sans abolir sa propre expérience ? Je souhaite ainsi éloigner Herculine de Barbin, mais cette question semble me pousser à intellectualiser la création. La poésie s’est présentée au dialogue, mais tout autant à la description (poétique, voire onirique) comme possibilités rapprochant le présent et le lointain, à la façon de l’herméneute. La proposition de ce monde-du-texte joindrait le semblable et le différent, autant au niveau de l’expérience que de l’idée du laboratoire : entre sexe et genre, réel et fantasme, mais aussi le déjà-là et l’idée du nouveau. Je voudrais par-là jouer avec notre ignorance du passé, causée parfois par l’usage trop empressée de nos outils d’analyse, et créer des identités imaginaires.

Mes explorations me mènent actuellement à varier les formes et les sujets, chacun étant orienté vers un objectif précis : dépouiller Herculine des discours qui lui résistent – comme un écho qui n’est pas sans rappeler, pour paraphraser Albert Camus, l’appel humain face au silence déraisonnable du monde. Je vois dans ma démarche une sorte de laboratoire de la pensée, afin de confronter mon expérience à celle, lyrique, de Barbin, qui obscurcit le projet autobiographique vers la fin.

 

Vers une herméneutique poétique ?

Le choix de la poésie répond à la question de la préférence, mais également à ce souhait de servir les intérêts d’un monde narratif singulier et éviter de lui imaginer ce que le texte d’origine ne dit pas. L’interprétation, tout comme la représentation de l’autre littéraire, n’en serait que reconduite dans une autre forme de pensée. Comme le dit Paul Ricoeur, « [l]’inconscient est origine, genèse, la conscience est fin des temps, apocalypse » (1969 : 171). L’interprétation d’un texte, vue ainsi, serait la mort des possibilités représentatives du discours littéraire. En cela, la proposition de réinventer, à travers l’identité fluide d’un autre, dans l’imaginaire social, semble arriver à point dans cette réflexion.

Considérant avec Ricoeur que l’inconscient est origine et que la conscience est fin des temps, l’étude du texte d’origine et des réceptions critiques pourrait-elle me permettre de mieux saisir ce manque à voir chez Herculine qui motive ce projet depuis le tout début ? Je n’ai pas l’impression que ce soit à nous, en tant que successeurs potentiels d’Abel Barbin, de choisir l’identité qui trancherait l’écriture au couteau. En revanche, l’impossibilité d’un dialogue avec Barbin, dans le cas qui est le mien, ne nous empêche pas d’imaginer Herculine, à la fois comme récit et comme auteur imaginaire. Comprendre Herculine, ne serait-ce pas prendre ses distances avec soi-même ?

[1] À cet effet, dans l’ouvrage, 78 occurrences « Herculine », 5 occurrences « Alexina », aucune « Adélaïde », « Abel » ou « Camille » (Judith Butler, 1990 : 119-135).

[2] Cette formule me semble essentielle à la compréhension d’un texte pionnier en son genre : il faut considérer que le prénom « Herculine » ne figure nulle part avant Michel Foucault et qu’il est ensuite employé comme étant l’identité réelle de l’auteur des mémoires. Ainsi, Herculine m’apparaît comme distinct d’Adélaïde ou d’Abel Barbin dans le discours littéraire.

[3] D’abord, au sens du nom, réinvesti comme figure subversive du mythe grecque, puis au sens du « reflet inversé », c’est-à-dire du renversement de « la culture en nature, ou du moins le social, le culturel, l’idéologique, l’historique en « naturel » », alors comme « effet de discours » (Barthes, 1984 : 81).

[4] Dans son rapport, Chesnet rapportera, et qui nous rappellera l’influence des discours collectifs : « Il existe un vagin […] mais Alexina n’a jamais été réglée ; tout l’extérieur du corps est celui d’un homme, mes explorations n’ont pu me faire trouver la matrice. Ses goûts, ses penchants, l’attirent vers les femmes. […] Voilà les vrais témoins du sexe. » (Foucault, 2014 : 150)

 

Bibliographie

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FOUCAULT, Michel (présente). Herculine Barbin dite Alexina B., Paris, Gallimard, « Tel », 2014.

HOUBRE, Gabrielle. Les deux vies d’Abel Barbin, né Adélaïde Herculine (1838-1868), Paris, Presses Universitaires de France, 2020.

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RICOEUR, Paul. Le conflit des interprétations. Essais d’herméneutique, Paris, Seuil, « Essais », 1969.

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TARDIEU, Auguste Ambroise. Question médico-légale de l’identité dans ses rapports avec les vices de la conformation des organes sexuels contenant les souvenirs et impressions d’un individu dont le sexe avait été méconnu, Paris, Librairie J. B. Baillière et fils, 1874.