Ce texte a été écrit dans le cadre de Huis clos à ciel ouvert tenu au Musée national des beaux-arts du Québec le 4 avril 2014, pendant la Nuit de la création, et ce, sous les contraintes imposées lors de la deuxième période d’écriture de ce projet à laquelle se sont livrés trois duos d’artistes.

Au métro de la pyramide, un vol à main armé a lieu.

MAUDE : Bon, ben, je pense qu’on va être ici pour un petit bout. J’irai pas à caisse certain, y’a quelqu’un avec un gun! Auriez-vous une idée pour un bon steak? Je veux faire plaisir à mon père. Il vient souper chez nous!

GILLES : Parlez moins fort, demoiselle? Et je ne crois pas que le moment soit opportun pour choisir un steak, avec cet énergumène devant de la caisse. Mais si j’avais à vous conseiller sur un bon steak, en toute rapidité, je dirais que l’idéal, c’est dans le mignon, je veux dire le filet, AA. Pas AAA, AA seulement, le troisième A, c’est 10$ la livre de plus pour peu. De l’arnaque.

MAUDE : My God, j’ai choisi mon monsieur pour m’informer! Moi, je travaille à Cage su’ Ste-Foy pis j’connais même pas la moitié de ce que vous venez de me dire là. (ricanant) Faudrait pas que mon patron m’entende. Si vous faisiez un vol à main armée là, vous euh… tu euh… vous en tout cas je pense qu’on est en sécurité dans la boucherie, han? Vous en pensez quoi? Pensez-tu qui va venir faire du steak avec nous autres?

Maude rit à gorge déployée.

GILLES : Moins fort, mon enfant, moins fort. Le ton augmente. Il a le verbe fort, ce voleur des grands commerces. Allons-nous abriter dans la chambre froide, le temps qu’il se calme un peu, que la caissière lui donne son dû.

Une étrange maladie touche près du tiers de la population qui ne contrôle plus ses glandes sudoripares.

MAUDE : Fuck man! J’ai jamais eu chaud de même, même à mon spinning le mardi. Bonne idée, aller dans la chambre froide! Viennez-tu?

GILLES : Venez-vous ou viens-tu, il va falloir faire un choix, petite. À vous voir transpirer de la sorte, je dirais en toute impunité que la chambre froide nous fera du bien.

Les deux clients du Métro s’enferment dans la chambre froide pendant que le voleur crie à en perdre l’haleine.

MAUDE : L’entendez-tu? Pou’ moi y’avait besoin de cash, c’est vrai! Z’avez l’air d’en avoir gros vous de la cenne, j’me trompe?

GILLES : Votre nom, demoiselle? Moi, c’est Gilles.

MAUDE : J’m’appelle Maude, Maude Beaulac, toutes mes amies m’appellent Maudasse. J’ai vu dans un film qui s’appelle Titanic que les tragédies rapprochent les gens, tu peux m’appeler Maudasse, mon Gilles, no trouble.

GILLES : Ouais… On va penser à un plan, d’accord, petite? Regarde par la petite fenêtre et dis-moi si le malfrat est encore dans les parages.

MAUDE: Ouh, malfrat! Ça fait vraiment cambrioleur dans le genre, c’est hot! Ok ok, je checke le malfrat, toi checkes les surgelés (éclatant de rire) d’un coup qui se réveillent, han!

GILLES : Moins fort, petite. Tu le vois? Il est où? On peut sortir?

MAUDE : Ben là Gi-Gi, j’pas savante mais me semble que si tu veux plus le savoir que moi, tu peux checker. Pas tant envie d’m’en prendre une entre les deux yeux, din coup qui est rendu proche de notre planque.

Gilles ouvre légèrement la porte du réfrigérateur. Le voleur est encore à la caisse, et il est maintenant accompagné de quelques « amis ». Tout le monde est couché au sol.

GILLES : On sort de là, on va essayer d’atteindre un téléphone d’urgence. Il doit bien en avoir un dans les parages. Mais là, vous murmurez, compris?

MAUDE : Woh woh Lucky Luke, je sors pas d’icitte moi là là, j’ai juste à texter ma chum de venir nous aider, est full willing, comme toi. Farme c’te porte-là. Là, arrête de niaiser. Tu te prends un peu trop d’un héros à mon goût, là.

Gilles transpire abondamment. Il se tourne vers Maude et remarque que son chandail est entièrement mouillé.

GILLES : Qu’est-ce qu’on a à transpirer de la sorte…?

MAUDE : Aye, sérieux, je sais pas, on dirait mon cours de Zumba pis de spinning en même temps… J’badtrippe, on dirait que mes côtes-levées sont en train de se réchauffer! T’es tu-vous down pour un BBQ, Gilles?

Une bande d’étudiants manifestent « activement » pour légaliser la marijuana.

MAUDE : Aye, mon amie s’est tagguée dans une manifeste pro-marijuana! Faut qu’on sorte, qu’on aille la rejoindre. Je suis full politisée, moé.

Gilles empoigne Maude par le bras, l’air grave, les yeux exorbités.

GILLES : Petite, fais-là venir ici! Avec son troupeau d’herbeux, ils vont faire peur aux voleurs.

MAUDE : Mmmm. Ok good, je vais la texter de venir au Met….. Métro, ça prend-tu deux « t »?

GILLES : Comme vous voulez… un « t » ou deux, tant qu’elle s’en vienne. La manifestation, elle est où, au juste?

MAUDE : Elle partait de Jean-Brillant v’là 15 menutes, ils doivent être proches en maudit! Fallait qui passent devant le Pub X, ça se termine au Sacrilège cette histoire-là, c’est ben sûr! Ils vont faire le tour des thiâtes de la ville. En tous cas, je vais mettre deux « t » pour être sûre qu’elle comprenne que c’est l’épicerie, pas le transport en commun pour les pauvres!

Un bruit sourd résonne dans l’épicerie. 

GILLES : Un coup de feu! Demoiselle, planquez-vous, je crois qu’ils se dirigent vers nous.

MAUDE : Vers nous, vers nous… J’ai une idée : on pourrait faire semblant d’être déjà ben gelés, genre morts gelés faque là ils tireraient pas sur nous? Qu’est-ce t’en dis? Pense vite, monsieur!

GILLES : Prenez le filet mignon, je prends le rosbif. On les attend à l’entrée du congélateur.

MAUDE : Ok, vous voulez carrément les assommer?

GILLES : Aucune idée, peut-être. Il faut se parer à toutes éventualités.

Au loin se dessine le champignon d’une bombe nucléaire : le souffle rejoindra la ville dans les prochaines secondes. 

MAUDE : Fuck shit, checkez ça, ce que mon amie vient de poster sur ton Ficebook!

Gilles lâche le bout de viande surgelé, prend le téléphone et reste sans voix.

GILLES : … On va pas finir notre vie enfermés dans un congélateur d’épicerie!

MAUDE : J’espère ben que non. Moi après mon souper à soir, Jonathan était censé de me caller back pour qu’on remette notre sortie de la semaine passée. Y’était ben grippé, t’sais. Aye, l’espèce de fumée, là, dans le vide qu’on checke, pensez-vous-tu que ça vient d’un feu?

GILLES : C’est sûrement les Russes, demoiselle, les Russes qui sont en train de raser la planète avec leurs idées de communistes. On sort de là, venez!

MAUDE : Han, les Russes genre Hitler??? WOH, on reste ici, c’est ben sûr! On bouge pas, y’en est pas question, moi j’ai de la batterie en masse sur mon cell pour survivre encore 2-3 heures avec de la musique même!

GILLES : Donne-moi ça, d’abord, que j’appelle ma femme et ma petite fille. Mon dieu, ma petite fille, 12 ans, à peine, elle n’a même pas encore son permis…Passez-moi votre téléphone.

MAUDE : Ben là, vous me donnez quoi en échange? C’est peut-être la fin du monde, moé too j’ai des appels à faire. Jo, y’était vraiment smatt là…

GILLES : Vous écoutez-vous parler, des fois?

MAUDE : Tu voulez que je répète? Vous me donnez quoi en échange de mon précieux?

Les ondes magnétiques se dérèglent; les gens entendent la radio et les conversations électroniques environnantes dans leur tête.

GILLES : Majoritaire… hot-dog… c’est vous qui dites des obscénités de la sorte? J’entends quoi là? Vous me parlez d’où?

MAUDE : Meilleur tartare en ville. Sortez entre filles, pour deux jours seulement… Wohhh, qu’est-c’est ça! Vous me parlez-tu?

GILLES : J’entends les malfrats. Une discussion radio, je crois. Ils semblent sur le point de partir. Les entendez-vous?

MAUDE : Deux pour un sur tous, tous, tous les matelas déjà en réduction, ça veut-tu dire que je vais pas manquer ma manif?

GILLES : Je ne sais pas, venez, on sort d’ici. Ce n’est pas normal tout ça.

MAUDE : Vous voulez aller où? Je veux pas mourir, je suis toute jeune… comme votre fille… pensez à votre fille…

GILLES : Allez, allez!

Gilles ouvre la porte, sort du congélateur en tirant Maude par le bras. Ils font profil bas, guettent l’avant de l’épicerie pour s’assurer que le champ est libre.

Les plaques tectoniques se disloquent : la ville de Québec et la ville de Lévis se rapprochent dans un tremblement sourd.

MAUDE (hurlant) : Oh mon doux Seigneur Giiiiiiiiiiiilles, tu veux-tu me baptiser, je suis pas baptisée, je veux pas mourir.

Le sol du Métro se met à trembler. Les rangées se déversent les unes sur les autres dans une cacophonie insupportable.

MAUDE : À quoi vous pensez là, là? Vous êtes-tu inquiet, Gilles? Montre-toi un peu rassurant.

GILLES : Je comprends rien. Je sais pas…. regardez par la fenêtre… le fleuve! Mais qu’est-ce que le fleuve vient faire en plein Ste-Foy!

MAUDE : Je sais pas, ça m’effraie un peu, j’suis-tu normale? (criant) Oh mon doux, j’ai les souliers tout trempes!

On entend siffler : une bombe atomique rejoindra le sol dans quelques instants. C’est inévitable.

MAUDE : Gilles, j’ai des dons des fois, je pense que là j’en ai un, je pense qu’on va mourir!

GILLES : Maude?

MAUDE : Gilles?

GILLES : Arrêtez de parler un instant, svp…

MAUDE : Vous voulez vous recueillir. Ouin je comprends, c’est important la récolte!! Récoltez-vous, Gilles, je suis désolée, je me tais. Oh que je me tais. Je me tagge dans apocalypse tu suite sur Ficebook. #apocalysonice.

FIN


Voici les autres textes qui ont produit sous les contraintes imposées lors de la deuxième période d’écriture du projet Huis clos à ciel ouvert :

Le maquillage est un art, de Catherine D’Anjou et Marie-Ève Muller;

Autoroute 20 to Hell, de Jim Gagnon et Aimée Lévesque.