Une semaine au bord de la mer avec ma famille et ma meilleure amie. Ocean City, New Jersey. Le soir de notre arrivée, après six heures d’autobus crasse, je m’effondre dans la tente double avant même que mon amie n’ait eu le temps de poser les panneaux. Morte de fatigue. Je me suis gavée de salade iceberg durant le trajet, pas besoin de plus quand on fait de la route. Ma flegme irrite ma chum, qui termine de monter la tente seule; elle aussi est épuisée. Bientôt, je ne l’entends plus.

Le lendemain, il pleut. On oublie la plage. Mes parents nous amènent visiter les villages côtiers, sinistres sous la grisaille. On fait les boutiques, je n’achète rien. Sauf un bracelet de fortune pour faire un vœu. Je traîne les pieds et m’endors dans l’auto entre les arrêts. Mon amie soupire déjà devant la morosité des six jours restants.

Au retour de la promenade, le camping détrempé nous accueille. Mon père ouvre des cannes de soupe Campbell minestrone qu’il met sur le feu. J’étudie la fiche nutritionnelle, démarre la calculatrice mentale. Examine mes cuisses, la canne, mes cuisses, la canne. Même si j’ai faim, je ne peux pas. Je n’ai presque pas bougé aujourd’hui, je devrais me passer de repas. Mon amie se tait; son regard perce ce qui se joue en moi. Mon père me tend un bol, que je repousse.

– Une soupe! Tu vas manger j’espère ?

J’éclate, me déverse. Des larmes étranges, primitives plongent. Je serai incapable de soulever la cuillère ni de rester à table.

Étendue dans mon sleeping bag, alors que je rejoue l’incident insensé, je me fâche. Je sais que ça ne peut pas être pire. J’ai touché le fond. Ma colère éclate comme un volcan attendant son heure. Cette fureur me rassure.