Écrire en réécrivant

De nombreux écrivains sont des réécrivains : ils ont composé leurs œuvres en transformant des œuvres antérieures.

Le procédé s’étale sur une longue période. Ainsi, Le Décaméron de Boccace (1350) a été suivi, en 1462, par le recueil des Cent nouvelles nouvelles puis, en 1559, par celui de Marguerite de Navarre, L’Heptaméron. Plus près de nous, le vingt-et-unième roman d’Amélie Nothomb, publié en 2012, a pour titre Barbe bleue.

Un des exemples les plus illustratifs de réécriture trouve son origine dans A Cruising Voyage Round the World, journal publié en 1712 par un corsaire anglais, le capitaine Woodes Rogers. Dans ce récit autobiographique, Rogers raconte comment, en 1709, a été secouru Alexandre Selkirk, un marin écossais débarqué à sa demande, quatre ans auparavant, sur une île située à 600 km au large du Chili par le commandant avec qui il ne s’entendait pas.

Ce récit sera l’hypotexte, pour reprendre le terme de Gérard Genette, du roman publié en 1719 par l’écrivain anglais Daniel Defoe, Robinson Crusoé. Des transformations y sont apportées par Defoe : par exemple, l’action se passe en 1659 et, naufragé, Robinson se retrouve seul sur une île, cette fois, de l’océan Atlantique.

Au début du XXe siècle, Robinson Crusoé fournit la trame d’un poème, « Images à Crusoé », du recueil Éloges que Saint-John Perse publie en 1904 et, en 1926, celle du roman de Jean Giraudoux, Suzanne et le Pacifique, où, contrairement à ce qui se passe chez Defoe, c’est le personnage de Vendredi qui tient le rôle principal.

Cette transvalorisation sera conservée en 1967 dans le roman de Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, lequel comporte, par rapport au texte de Defoe, de nombreuses modifications, dont, par exemple, une translation temporelle (Robinson fait naufrage un siècle plus tard), une translation spatiale (le Pacifique remplace l’Atlantique) et une transvocalisation (alors que le roman de Defoe est tout entier écrit à la première personne, celui de Tournier fait alterner une narration à la troisième personne et une autre, à la première, celle du log-book).

En 1971, Tournier réécrit son propre roman. Destiné aux jeunes, Vendredi ou la vie sauvage comporte notamment une réduction massive (151 pages au lieu de 245) et une transvocalisation (le roman est entièrement narré à la troisième personne) : « Fini le charabia. Voici mon vrai style destiné aux enfants de douze ans. Et tant mieux si ça plaît aux adultes. Le premier Vendredi était un brouillon, le second est le propre », dira l’auteur dans un entretien avec Jérôme Garcin pour L’événement du Jeudi en 1986.

Enfin, en 1978, sous la forme d’une nouvelle, « La fin de Robinson Crusoé », qui fait partie du recueil intitulé Le Coq de bruyère, Tournier apporte un épilogue à son roman. Robinson et Vendredi sont retournés en Angleterre. Vendredi ayant disparu, Robinson quitte Londres pour aller à sa recherche, mais il ne retrouve ni Vendredi ni son île, disparue comme l’est sa jeunesse.

À la session d’hiver 2014, j’ai donné, au Département de français de l’Université d’Ottawa, un séminaire de création littéraire consacré à la réécriture. Je remercie Le Crachoir de Flaubert de publier plusieurs des hypertextes produits à cette occasion par des étudiants à la maîtrise et au doctorat, lesquels ont trouvé dans ce procédé une forme d’écriture sous contrainte particulièrement féconde.

Christian MILAT
Département de français
Université d’Ottawa

La biche et le barbare

Par |2016-12-21T15:04:10-05:0020 août, 2014|Conte, Cours de création littéraire, Dossiers thématiques, Écrire en réécrivant, Nouvelles, Textes de creation|

Une fois bien en sécurité dans ma chambre à l’étage supérieur, je m’étais mis à guetter un quelconque signe d’activité, mes yeux fixés sur les bosquets, là où « la chose » m’était apparue. Une fois la lune entièrement levée, ce que j’avais cru illusion s’était avéré réalité : il ne s’agissait pas d’une bête, mais bien plutôt d’une femme.

La nuit

Par |2016-12-21T15:04:19-05:006 août, 2014|Cours de création littéraire, Dossiers thématiques, Écrire en réécrivant, Nouvelles, Textes de creation, Théâtre|

LE JUGE : [...] Elle comprenait pas la gravité de la situation. She even asked : « Pour que-c’é faire qu’est drette pis pâle de même? » Ha! Ha! Anyway, il y a eu un silence. Then, suddenly, she got it : « Ça s’peut-tu? Ma ‘tite fille à moé? Tellement belle hier encore, ast’heure raide pis frette comme de l’acier? » Poor woman! Elle a glissé à terre, a tendu les mains et a pleuré. So ridiculous! J’aurais vraiment aimé que t’entendes ses sanglots! Pathetic, believe me! We laughed so much! Ha! Ha! Ha!

Le plagiat

Par |2016-12-21T15:04:27-05:009 juillet, 2014|Cours de création littéraire, Dossiers thématiques, Écrire en réécrivant, Nouvelles, Textes de creation|

L’abbé Limat utilisait cette phrase secrète pour identifier sans se compromettre les étudiants du coin qui cherchaient à se procurer une ration de drogues miracles. Ces petites pilules vertes, dont l’abbé seul avait le secret, décuplaient les facultés mentales. Tenant le tuyau d’un ami (qui le tenait d’un ami), je désirais faire moi-même l’expérience de leur efficacité. Mais l’ami Limat distribuait ses hosties magiques avec parcimonie, car il tenait à garder un certain contrôle sur son petit commerce lucratif.