[information]Ce texte a été écrit dans le cadre de Huis clos à ciel ouvert tenu au Musée national des beaux-arts du Québec le 4 avril 2014, pendant la Nuit de la création, et ce, sous les contraintes imposées lors de la première période d’écriture de ce projet à laquelle se sont livrés trois duos d’artistes.[/information]

À la Brûlerie Limoilou, une altercation dégénère. 

FAUSTIN : S’cusez moi. Je peux m’asseoir avec vous?

ÉRICA : Euh, oui oui. T’es tout seul?

FAUSTIN : Oui. Je cherche mon chat. Je l’ai perdu, mais là j’ai soif. Y’a des gens louches là-bas.

ÉRICA : Où ça? Y a des gens louches partout, si tu veux mon avis… (regardant les trois gars qui se crachent dessus) Ah, ceux qui se sautent dessus… là?

FAUSTIN : Ouais. Ils me font un peu peur. Tu crois qu’ils ont volé mon chat?

Bruits de chaises, cris. Ça se tabasse dans le coin gauche du café.

ÉRICA (très calme) : Non, ils se battent pas pour un chat, les probabilités sont minces. Mais je ne pense pas qu’on devrait rester ici.

FAUSTIN (faisant des yeux humides de bébé chat) : Tu t’en vas?

ÉRICA : Oh! Rémi! Mais je vais juste sortir. Dehors. Continuer à travailler quelque part. Tu es venu seul ici?

FAUSTIN : Ouais… y’a personne chez moi pour m’aider.

Les cendres d’un volcan lointain bloquent la lumière du soleil.

FAUSTIN : C’est weird, il fait noir. (Il lui prend la main.) J’ai peur un peu.

ÉRICA : Ouais, je comprends pas trop. Il doit y avoir une panne d’électricité… partout en ville en même temps. Faut pas avoir peur. Viens.

Ils sortent alors que les gens qui se battaient poussent des cris de surprise.

FAUSTIN : Marche pas trop vite! C’est quoi ton nom?

ÉRICA : Moi, c’est Érica. Toi? T’as l’air de Rémi, vraiment.

FAUSTIN : C’est qui ça, Rémi? Moi, c’est Faustin. Comme un personnage que je connais pas, mais que ma mère aimait. Tu vas à quelle école?

ÉRICA : Que ta mère aimait? (À elle-même) Encore plus tragique… (À Faustin) Je vais à l’université. J’étudie les maths. Toi?

FAUSTIN : Ça veut dire que t’es vieille! Pfff. J’aurais pas cru. T’es petite. Je te dépasse presque. Moi, je vais à la Grande-Hermine. C’est l’fun. Mais pas les maths. C’est nul ça. Mais hey, quand je morve, ça devient noir!

Il lui montre un kleenex noir.

ÉRICA : Ooooh! On dirait une tempête de sable… Mais je comprends pas, on est pas dans le désert… Faustin, est-ce que tu pourrais m’amener où tu habites? Je vais te reconduire.

FAUSTIN : Euh… oui. Je pense que oui. Je cherchais Biscuit. Tu l’as pas vu? On dirait un petit léopard. Attends, il est où le grand parc avec la rivière?

ÉRICA : Hum, (pointant le doigt vers le sud) par là, je pense. Mais on voit fichtrement rien. T’inquiète pas pour Biscuit. Les animaux ont l’instinct de retourner à la maison quand ils ont peur. Et il doit avoir peur… comme nous, un peu, d’ailleurs…

Faustin serre un peu plus fort la main d’Érica, qui, elle aussi, la serre plus fort à son tour.

FAUSTIN : Biscuit! (criant) Biscuit! Voyons! Le chat! Ah, c’est le parc, là. Il faut aller vers la rue des Canards.

ÉRICA : OK, parfait. Continue de crier comme ça, au moins les gens vont pouvoir nous repérer dans cette purée de pois. Mais attention de pas avaler de cochonnerie. Mets ton mouchoir devant ta bouche…

FAUSTIN : Érica… Est-ce qu’on dort?

ÉRICA : Euh, tu veux dire maintenant? Si on est en train de dormir?

FAUSTIN : Ouais. J’ai jamais vu ça avant. Genre je pense, pis non, vraiment, j’ai jamais vu ça. On dirait de la neige noire.

ÉRICA : Les chances qu’on soit en train de dormir sont minces. J’ai jamais vu ça non plus, mais on est là…c’est ça qui… compte… (Elle a de la difficulté à respirer, mais ne veut pas le montrer à Faustin) N’est-…ce… pas?

Un immense nuage de smog emprisonne toute la ville de Québec. L’air est irrespirable et la visibilité grandement réduite.

FAUSTIN : Hey, on dirait que ma peau a la même couleur que l’air! (Il tousse. Il se passe la main dans ses cheveux crépus et en ressort plusieurs morceaux de cendres.) J’arrive pu à te voir. Lâche pas ma main, ok?

ÉRICA : Non, Faustin… Je te lâche pas… Tu sais quoi? Je pense… que tu as raison… on est dans un rêve. Alors… on va observer ce qui se passe, ok?

FAUSTIN : On va se réveiller un moment donné et Biscuit sera avec moi et on se connaîtra pas, c’est bon? Pas que je t’aime pas, mais j’aime mieux ma vie avant d’avoir perdu mon chat…

ÉRICA : Je comprends, Faustin… Je te connais pas vraiment, mais t’es un chouette gamin… Ok, on va décider ça… que Biscuit va réapparaître… parce que tu sais dans les rêves… tu peux prendre des décisions, hein?

Faustin s’arrête et ferme les yeux très forts. Il tousse tout en se concentrant. Quand il ouvre les yeux, il tient encore la main d’Érica et il ne voit toujours rien.

FAUSTIN : Ça marche pas. (paniquant un peu) Ça marche pas! T’as menti!

ÉRICA : Ça marche pas toujours… tout de suite… faut être patient… même si c’est dur… même si ça te tente pas… Où est ta maison là? (À elle-même) On voit trop rien…

FAUSTIN : Mmm, je sais pas trop. Je suis un peu perdu. C’est que je vois rien. On peut aller chez toi en attendant qu’on voit? J’appellerai ma maman.

ÉRICA : Oui… on peut… (réfléchissant un moment) J’habite tout près du parc… faut juste revenir sur nos pas un peu… Viens.

FAUSTIN : T’as entendu la sirène? C’était quoi ça?

Une tempête de verglas transforme la ville en immense patinoire. Impossible de marcher dans les rues ou de conduire.

ÉRICA : C’est du verglas! Tu vois, on peut voir un peu grâce à la réflexion sur la glace! Mais attention de ne pas…

Faustin est par terre, évidemment. 

FAUSTIN : Oups. Hahaha! C’est drôle ça. J’aime mieux la glace que le noir.

Il se relève.

FAUSTIN (grelottant) : Il fait froid. On est bientôt rendus?

ÉRICA (mentant) : Oui oui. Mais je pense qu’on devrait entrer dans cette cabane en attendant. Pour nous réchauffer. Peut-être que Biscuit y est?

FAUSTIN : Oh oui!

Mais les deux tombent.

FAUSTIN : Ouch! On fait comment?

ÉRICA : On marche à quatre pattes comme ton chat. Comme ça, on va être au même niveau que lui. Il va venir nous voir en pensant qu’on est des chats.

FAUSTIN : Aye! C’est froid. Ouf, elle est pas loin au moins, la cabane.

ÉRICA : Oui, je sais, c’est pas un rêve facile, qu’on fait là… Hum, il se passe quelque chose on dirait dans le port pas loin… Tu entends?

Un sous-marin étranger émerge dans le port de Québec et refuse de coopérer avec les autorités.

FAUSTIN : Oui! On dirait des bruits de cowboys! C’est pas des vrais, hein?

ÉRICA : J’penserais pas, à moins que ce soit des cowboys marins… Mais je pense bien qu’il y a des sirènes, oui. De police, je veux dire.

Ils sont enfin rendus à la cabane

FAUSTIN : C’est barré! C’est barré! Ça marche pas. Je suis tanné, là. J’aime pas ça, ce rêve-là.

Un tir explose dans le ciel, faisant comme un feu d’artifice.

ÉRICA : Oh! Ok, Faustin, regarde, quelque chose que tu peux aimer. Je sais pas si ta mère serait contente que je te propose ça, mais je pense qu’on pourrait s’accoter sur la cabane pour regarder les feux d’artifice… pendant que je te serre dans mes bras. Pour te réchauffer, tu sais.

FAUSTIN : Ça me tente. (Il se blottit contre elle.) Je suis content que tu sois là. Même si je comprends rien.

La Terre sort de son orbite et se dirige à toute vitesse vers le vide. La température baisse rapidement, sans espoir de se réchauffer.

FAUSTIN : J’ai frrrrfrrroid. J…

ÉRICA (les lèvres bleues déjà) : Oui… Mmmmoi aussssi… Pppparle, Ffaustin, pparle, pour te réchaufffer… Imagine que tttt’as une fffourrrurrre de Biscuit sur tttoi…

FAUSTIN : Mmm mmon chhat. É É É Érica… (Il lève les yeux vers elle, il est couvert de givre et elle aussi.) On est des Mister Freeze.

ÉRICA : Oui, on dirait… Serrrre-moi le plus fffort que tu peux!

Les deux tremblent. Faustin essaie de serrer Érica, mais ses doigts tombent de sa paume. Ses paupières gelées l’empêchent de voir ses extrémités se détacher de son corps.

ÉRICA (hurlant) : AAAAAH!

La terre se fragmente et la lave engloutira d’ici quelques minutes tout ce qui vit.

ÉRICA : Faustin, tu es là? Ton cœur, ta tête sont encore là?

FAUSTIN : AAAAAAH! (pleurant de tout son corps) Ça brûle!

Un chat en feu s’évapore devant eux. 

FAUSTIN : BISCUIT! Érica!

Érica a les cheveux en feu

ÉRICA : AAAAH!!! Mes cheveux! Mais qu’est-ce qui nous arrive?

Elle essaie de se rouler dans la glace, sans succès.

FIN


Voici les autres textes qui ont produit sous les contraintes imposées lors de la première période d’écriture du projet Huis clos à ciel ouvert :

Le dernier cride Catherine D’Anjou et Marc Laliberté;

Le stagiaire malgré luide Marc-André Lapalice et Docteure Poquelin.